Le groupe genevois est en discussion avec son concurrent français en vue d’une éventuelle fusion. Si elle aboutit, l’opération pourrait créer un géant dans un secteur en forte croissance, mais qui reste fragmenté

Le discret marché de la certification et de l’inspection est en ébullition. SGS et Bureau Veritas, les deux leaders mondiaux du secteur, envisagent de fusionner. Le communiqué, publié mercredi après des révélations de l’agence Bloomberg, est pour le moins succinct. «Suite à de récents commentaires dans les médias, SGS indique qu’elle est en discussion avec Bureau Veritas au sujet d’un éventuel regroupement d’entreprises. Il n’y a aucune garantie que ces discussions aboutissent à une transaction ou à un autre accord. SGS ne fera pas d’autres commentaires et communiquera en temps voulu, le cas échéant.» La déclaration de Bureau Veritas est tout aussi brève.

Basé à Genève, SGS, numéro un mondial de la certification et de l’inspection, se caractérise par sa discrétion. La firme a beau avoir près de 150 ans, c’est aussi une belle inconnue. Le groupe cultive depuis longtemps un certain secret. Les portraits de la firme dans la presse suisse sont rares, alors que la société a déménagé son siège de Paris à Genève en 1915.

En poste depuis mars dernier, la directrice générale Géraldine Picaud a cependant rapidement imprimé sa marque, donnant un nouvel élan au groupe. Dans un entretien accordé au Temps en juillet dernier, la Française, ancienne directrice des finances du cimentier suisse Holcim, reconnaissait que l’entreprise «n’est pas évidente à cerner», avant d’ajouter: «Il est important que le public connaisse mieux SGS».

Contrôle des céréales

Fondée en 1878, l’ex-Société générale de surveillance était active à l’origine dans la certification et le contrôle des céréales. La multinationale opère à présent dans un large éventail de secteurs industriels avec près de 100 000 employés – dont environ 200 à Genève – répartis dans 2600 bureaux et laboratoires. Elle affiche une valorisation boursière d’environ 17,6 milliards de francs. En 2023, son chiffre d’affaires s’élevait à 6,62 milliards pour un bénéfice de 553 millions. Ejecté du SMI, de l’indice phare de la bourse suisse, à l’automne 2022, le groupe figure encore dans le top 30 des principales capitalisations de la place zurichoise.

Les sociétés d’inspection et de certification ont un bel avenir, affirmait Géraldine Picaud dans les colonnes du Temps: «Car il y a toujours plus de régulations et de standards, et les chaînes d’approvisionnement sont toujours plus complexes. Il faut en contrôler chaque maillon, selon des normes locales et internationales. Assurer que tel t-shirt est produit sans travail d’enfants, que les pigments utilisés dans son textile sont éthiques et sûrs. Que les puces dans les cartes de paiement sont fiables pour garantir des transferts de paiements internationaux, sans espionnage ni piratage. Il y aura toujours plus besoin de sociétés dans les TIC» [test, inspection et certification, ndlr].

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De son côté, Bureau Veritas se présente comme le numéro deux du secteur, derrière la multinationale genevoise. Le groupe de Neuilly-sur-Seine affiche une capitalisation boursière de 13,5 milliards d’euros (12,7 milliards de francs) et a enregistré en 2023 un chiffre d’affaires de 5,87 milliards d’euros et un bénéfice net de 503,7 millions. Fin 2024, la firme a fait son entrée au sein du CAC 40, l’indice vedette de la bourse de Paris.

La fusion entre les deux principales entreprises du secteur donnerait naissance à un leader incontesté de la branche, dont la valorisation boursière cumulée dépasserait 30 milliards de francs. «Bureau Veritas et SGS se courtisent depuis des années. Un rapprochement constituait l’un des projets, voire une obsession de Sergio Marchionne il y a plus de 20 ans déjà», affirme dans une note l’analyste de Vontobel Jean-Philippe Bertschy. L’emblématique patron de Fiat avait dirigé SGS entre 2002 et 2004, avant de présider la multinationale de 2006 jusqu’à son décès en 2018.

Des synergies importantes

L’expert de Vontobel suppute que des discussions entre les deux groupes ont déjà eu lieu par le passé, achoppant sur la question de l’emplacement de la future entité ou l’octroi des postes de directeur général et de président. L’accord créerait des synergies importantes, note Jean-Philippe Bertschy. Il est cependant «très prématuré de dire si les discussions aboutiront finalement à une transaction».

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Le marché des TIC «est encore loin d’être consolidé, les quatre principaux acteurs détenant des parts de marché cumulées de 20 à 25%», relève pour sa part l’analyste de la Banque cantonale de Zurich (ZKB) Daniel Bürki. C’est pourquoi, selon lui, l’opération ne devrait pas poser de problèmes majeurs du point de vue du droit de la concurrence. Reste qu’une transaction de cette envergure n’a encore jamais eu lieu dans le secteur. Comme le marché des TIC est actuellement en très bonne santé et connaît une croissance très dynamique, de l’ordre de 5% par année, «une collaboration serait abordée en position de force», estime l’expert.

L’annonce du projet de fusion a suscité un accueil très mitigé des investisseurs. Certains analystes ne cachent pas leurs doutes. Compte tenu de la taille et de la complexité d’une fusion, les risques pourraient l’emporter sur les avantages, estime dans un commentaire la banque britannique Barclays. A la bourse suisse, le titre SGS lâchait dans l’après-midi près de 6% à 87,16 francs. De son côté, l’action Bureau Veritas affichait une hausse de plus de 2%.