Les concepteurs de dessins animés se sont toujours intéressés de près aux animaux qu’ils souhaitaient représenter, comme lors de la création de «Bambi», du «Roi Lion» ou de «Shrek». Certains de leurs modèles sont devenus de véritables ambassadeurs

A côté de la piste cyclable qui longe le parc Bol, à Palo Alto en Californie, se trouve un petit pâturage ensoleillé, toujours très apprécié des familles. Mais depuis le 2 janvier, un ruban noir a assombri le paysage. Des bouquets de fleurs ont été déposés et une cérémonie commémorative aura bientôt lieu. Le quartier de Barron Park pleure son petit âne gris, Perry, euthanasié à l’âge honorable de trente ans. «L’âne le plus célèbre du monde», écrivait récemment le Washington Post qui suivait son état de santé depuis plusieurs mois.

Perry, c’était l’Âne, l’insupportable mais terriblement attachante bestiole collée aux basques de l’ogre Shrek dans le dessin animé éponyme de 2001. Du moins, l’animal sur lequel s’est basée l’équipe d’animation du film pour donner vie et mimiques au personnage, porté par la voix d’Eddie Murphy – «On est bientôt arrivé?».

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Le Barron Park Donkey Project, l’association qui prenait soin de Perry depuis ses jeunes années, raconte qu’il est arrivé dans la région pour tenir compagnie à des chevaux de polo. Mais sa carrière aurait capoté, car il passait trop de temps à les mordiller. Arrivé à Palo Alto en 1997, l’animal coulait donc de paisibles journées quand l’animateur Rex Grignon jeta son dévolu sur lui, après que sa femme, une habituée du parc, lui conseilla le détour. «Nous voulions comprendre ce qui fait qu’un âne est un âne. Il était donc très utile de regarder Perry se déplacer», explique l’ancien animateur de Pacific Data Images au Washington Post. C’est ainsi qu’en 1999, vingt-cinq animateurs débarquèrent autour de l’enclos de l’âne nain pour le croquer sous toutes les coutures. Paraîtrait-il que les habitués du parc reconnaissent en l’Âne la manière qu’avait Perry de rouler des yeux et de rejeter la tête en arrière.

En quête de réel, déjà dans «Bambi»

Très tôt dans l’histoire du cinéma d’animation, ses pionniers se sont lancés en quête de réalisme lorsqu’ils souhaitaient représenter des animaux. Pour Bambi, Walt Disney Productions avait demandé à ses animateurs de passer du temps au zoo de Los Angeles, d’écouter des conférences de naturalistes et d’observer attentivement les deux faons qui avaient été installés au sein même des studios.

Lors de sa sortie en 1942, plus de 80 ans avant l’hyperréaliste Mufasa, les critiques s’alarmaient, déjà, de voir la magie du dessin disparaître au profit d’un froid réalisme. «M. Disney a une fois de plus révélé une tendance décourageante à dépasser les limites de la fantaisie de bande dessinée pour entrer dans le naturalisme strict de l’illustration de magazine. Sa forêt peinte ne se distingue guère de la vraie forêt (…) Ses personnages principaux, Bambi et ses parents – tous les cerfs, en fait – sont dessinés de manière aussi naturaliste que possible; seuls les petits acteurs de caractère comme Panpan, Ami Hibou ou les taupes sont des créations «humanisées» de la fantasy», peut-on lire dans les archives du New York Times de l’époque.

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Lors de la conception du Roi Lion, sorti en 1994, le célèbre zoologiste Jim Fowler organisa la venue de plusieurs fauves dans les studios de Walt Disney, devant un parterre de dessinateurs. Trois ans avant la sortie du film, une petite équipe s’envola aussi pour le Kenya. Une approche reproduite dans les années 2010 lors de la création de la nouvelle version, de Jon Favreau, sortie en 2019. Encore une fois, une équipe se rendit au Kenya et les animateurs multiplièrent les visites au Disney’s Animal Kingdom à Orlando, en Floride. Cette fois par contre, les personnages ont pris vie grâce aux images de synthèse générées par simulations sur ordinateur. Dommage que Felix Salten, le critique du New York Times, qui s’effrayait de ne pas pouvoir distinguer les forêts de Bambi des forêts du Main en 1942, ne soit plus là.

Image tirée de la version de 1994 du Roi Lion. — © imago images/Mary Evans
Image tirée de la version de 1994 du Roi Lion. — © imago images/Mary Evans

L’histoire dans l’histoire

Parce que l’industrie du divertissement les rend souvent grandement sympathiques, les animaux de dessin animés ont souvent desservi leurs congénères dans la vie réelle. Des poissons-clowns morts de n’avoir pas bénéficié d’un aquarium adapté après Le Monde de Nemo aux tortues jetées dans les toilettes à la suite des Tortues Ninja, les exemples sont nombreux. Mais les grands classiques cachent aussi parfois de belles histoires, comme celle du petit âne Perry devenu la mascotte de la petite communauté du quartier de Barron Park. En Californie, un autre équidé connaît la même notoriété: Donner, rebaptisé Spirit après le passage des animateurs de DreamWorks dans sa vie.

Dans Spirit, l’étalon des plaines, les animaux ne sont pas dotés de parole contrairement à ce qui se fait dans beaucoup de films d’animation. Les chevaux hennissent, s’ébrouent, ronflent. Malgré l’ajout de quelques caractéristiques humaines comme les sourcils, les animateurs voulaient reproduire l’animal et son environnement – l’Ouest américain de la fin du XIXe siècle – au plus près. Or, «il n’y a rien de plus difficile à animer qu’un cheval», explique le producteur Jeffrey Katzenberg dans un making-off. «C’était assez intimidant au début. Lorsque j’ai commencé à dessiner des chevaux, j’ai soudain réalisé à quel point j’en savais peu. Nous nous sommes donc adressés à des experts, à des spécialistes de l’anatomie, à tout ce que nous pouvions trouver pour comprendre le fonctionnement de ces animaux», commente le célèbre animateur britannique James Baxter dans la même vidéo.

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Pour donner vie à Spirit, son équipe a donc choisi Donner, un jeune et puissant mustang Kiger à la crinière sombre et épaisse – une race originaire du Sud-Est de l’Oregon à la conformation proche des chevaux espagnols. Pendant des heures, les dessinateurs ont essayé de capturer ses postures, ses expressions faciales et ses allures.

«L’étalon Spirit continue d’inspirer de nombreuses personnes»

Elevé dans un ranch de l’Oregon, à Bend, l’animal est né d’un étalon et d’une jument capturés par le BLM – le bureau fédéral de gestion des terres qui régule les populations de chevaux sauvages. A la fin de la réalisation du dessin animé, DreamWorks a décidé d’envoyer Spirit au sanctuaire de l’association Return to Freedom, qui lutte depuis 1998 pour la protection des mustangs dans le pays.

L’organisation veille sur plusieurs centaines de mustangs et d’ânes qui ont recouvré la liberté sur leur immense terrain et plaide pour une meilleure régulation des populations sauvages, via le contrôle de la fertilité, à l’heure où le BLM préfère la capture – à l’aide d’hélicoptère – et l’entreposage dans des enclos gouvernementaux. «L’étalon Spirit continue d’inspirer de nombreuses personnes à en apprendre davantage sur les milliers de chevaux et d’ânes sauvages sans nom, dont la survie sur nos terres publiques reste menacée», explique Return to Freedom sur son site Internet.