ÉDITORIAL. Le président élu a ouvert son escarcelle. Il veut y engouffrer le canal de Panama, le Groenland, voire le Canada. Avec les mêmes arguments que la Russie à l’heure d’annexer la Crimée ou le Donbass ukrainien
Et si c’était vrai? Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, dans quelques jours, soulève une foison d’inquiétudes. Du rôle d’Elon Musk, missionnaire digital de l’extrême droite, à l’incompétence affichée de sa nouvelle équipe, les motifs de préoccupation, pour ne pas dire de frayeur, sont légion. Mais, dans le lot, rien n’égale peut-être le désir affiché par Trump II de revendiquer le Canada, le canal de Panama ou le Groenland comme des territoires des Etats-Unis, au besoin par la force brute. Le président élu a ouvert son escarcelle. Tel un ogre de contes pour enfants, l’homme le plus puissant du monde veut décider sans contrainte ce qu’il pourra y engouffrer.
Peu importe, au fond, s’il s’agit de menaces réelles, de simples fanfaronnades ou de surenchères visant à déstabiliser l’interlocuteur. Peu importe, encore, s’il faut y voir de pures manœuvres de diversion cherchant à masquer d’autres mesures qui cuiraient sur le feu. Le futur président des Etats-Unis brandit l’usage de la force contre des pays amis, y compris contre des alliés de l’OTAN. Avec pareille entrée en matière, le vertige est garanti pour les quatre années qui viennent. De quoi faire passer le premier mandat du milliardaire pour une inoffensive promenade de santé.
Car aujourd’hui, les circonstances sont particulières. Impossible, bien sûr, en écoutant l’argumentaire de Trump, de ne pas penser à Vladimir Poutine et à ses longs plaidoyers pour justifier l’annexion de la Crimée, de la moitié de l’Ukraine, voire d’une bonne partie de l’Europe centrale. La Chine réclamant Taïwan? Quoi de plus naturel. Quant à Israël, prenant ses aises dans le sang en Palestine, au Liban du Sud ou désormais en Syrie, au nom de quoi devrait-on l’arrêter?
Ces velléités affichées de Donald Trump font soudain des Etats-Unis une puissance impériale, luttant avec les mêmes armes contre les empires rivaux. Bienvenue au XIXe siècle, et que les plus forts, et les plus décomplexés, gagnent. Les voix sceptiques rétorqueront que, de l’Irak à l’Afghanistan, de Cuba à… l’Ukraine, les Etats-Unis n’ont jamais agi autrement. Ils se trompent. Et la mort du moraliste Jimmy Carter, qui fait remarquablement écho au retour de Trump, rappelle assez que la puissance américaine ne peut pas se résumer à ses seules ambitions impériales.
Aujourd’hui, pourtant, le danger est double. A la personnalité de Donald Trump – que les Américains ont réélu en toute connaissance de cause – s’ajoute en effet une future administration dont les chefs semblent avoir été systématiquement choisis pour jouer le rôle de comparses complaisants. L’empereur Trump, dans une démocratie qu’il souhaite en carton-pâte, ne veut s’encombrer d’aucun contre-pouvoir.
Retrouvez tous les éditoriaux du Temps