La culture du cacao revient aux recettes traditionnelles. L’agroforesterie est redéployée pour répondre aux défis environnementaux et climatiques, malgré des rendements plus faibles

Derrière une tablette de chocolat se cachent des chiffres frappants. Dans les années 1960, 4,4 millions d’hectares dans le monde étaient dédiés à la culture du cacao. Aujourd’hui, les cacaoyères couvrent plus de 12 millions d’hectares. Entre-temps, pour gagner en productivité, le cacaoyer a quitté les forêts tropicales pour s’installer dans des champs d’agriculture intensive, en monoculture.

Mais ce modèle s’essouffle. Le modèle du cacao de monoculture, boosté aux intrants chimiques, est remis en question. S’il a permis d’augmenter les rendements depuis les années 1960, ses limites apparaissent clairement aujourd’hui. On lui reproche:

Pour imaginer un cacao plus durable, agriculteurs et chercheurs se sont alliés pour dessiner la cacaoculture de demain. Parmi les pistes explorées, une recette ancienne: l’agroforesterie. Finies les longues lignes de terre où une seule plantation est privilégiée. Dans une culture en agroforesterie, des arbres cohabitent avec les cultures. Une méthode «traditionnelle», mais perçue comme «démodée», raconte Stéphane Saj, agronome et écologue au FiBL. Ce dernier est spécialiste de l’agroforesterie tropicale. «On était dans un monde un peu heureux où on appliquait des recettes industrielles à un produit qui ne l’est pas», explique-t-il. Et pour cause, l’agroforesterie a connu un retour chamboulé dans les champs. Dans les années 1960, en plein essor de la monoculture, on déconseillait fermement aux agriculteurs d’adopter l’agroforesterie au profit de la monoculture.

Le cacao, 30% de la déforestation en Afrique de l’Ouest

Au cours des années, et face aux critiques de la monoculture, la dynamique a peu à peu évolué. Amanda Jousset, doctorante à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel, détaille: «En réponse à cette dynamique d’expansion de la monoculture, certains chercheurs se sont inspirés des modèles de plantations familiales qui avaient plusieurs plantes sur des surfaces assez petites.»

L’agroforesterie a ainsi été adoptée pour différentes cultures, dont celle du cacao, mais également du café, entre autres. Poussée par l’Organisation internationale du cacao, cette méthode de culture entend améliorer la longévité des cultures tout en bénéficiant d’autres services écosystémiques que peut apporter l’agroforesterie, comme:

L’agroforesterie est également perçue comme une solution pour ralentir la déforestation. L’Afrique de l’Ouest, où la monoculture domine, produit 70% du cacao mondial. Cependant, en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux principaux pays producteurs, on estime que le cacao est responsable de 30% de la déforestation. «Le cacao a un cycle de plus ou moins vingt ans. Du coup, il faut régulièrement le replanter. De plus, il pousse très bien sur les terres fraîchement déboisées. Donc ça encourage les agriculteurs à déboiser pour avoir plus de productivité», illustre Amanda Jousset.

Cette déforestation participe pourtant activement au changement climatique dans ces régions. Changement climatique qui bouleverse aussi les cultures: de moins en moins de zones sont aptes à la culture du cacao et les agriculteurs voient émerger ravageurs et maladies, qui menacent les cacaoyers. C’est dans ce contexte que depuis une vingtaine d’années l’agroforesterie s’est frayé un chemin dans les champs africains.

Si un système agroforestier ralentit la déforestation, les experts s’accordent à dire que ce n’est pas une solution miracle. Pour Amanda Jousset, «ça ne résout pas le problème de déforestation de forêts primaires». La doctorante de l’Université de Neuchâtel souligne que «dans le cas du cacao, pour planter en agroforesterie, tout est déboisé». L’effet positif: «Il y aura plus de biodiversité animale et végétale sur cette parcelle», ajoute-t-elle. «C’est bien mieux qu’une monoculture, mais ça n’atteint pas le niveau de service qu’atteint une forêt», renchérit Stéphane Saj. Selon l’agronome du FiBL, «un système agroforestier, ce n’est pas une forêt. C’est un système cultivé qui a tout de même une diversité d’arbres ou d’animaux qui viennent se balader.»

Attention à l’approche minimaliste

De plus, les rendements observés par les cultures en agroforesterie sont inférieurs à ceux en monoculture. Et cette question de la rentabilité est sensible. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire: premier producteur mondial de cacao, la fève est un élément vital de l’économie ivoirienne. Environ deux tiers de la population active dépend du cacao pour sa subsistance. Pas de quoi effrayer certains agriculteurs du pays, qui ont fait le choix de changer de mode de culture, raconte Stéphane Saj: «On a compris qu’il va être difficile de produire sur une même surface, pour une année donnée, la même quantité de cacao qu’en monoculture. Par contre, on sait très bien qu’on va pouvoir le faire beaucoup plus longtemps grâce à un système agroforestier.» «Maintenant qu’on a compris que ce modèle-là était beaucoup plus durable que la monoculture, il faut l’accompagner», ajoute Stéphane Saj.

Ce modèle n’est toutefois pas une panacée et parfois les structures agricoles manquent d’ambition: «Si vous mettez des cacaoyers avec des cocotiers par exemple, c’est considéré comme de l’agroforesterie. Il y a eu beaucoup de critiques sur cette approche-là, c’était trop minimaliste et ça ne permet pas d’avoir un réel impact sur la biodiversité.»

L’agroforesterie, pour apporter tous ses bénéfices, doit être accompagnée de mesures publiques. Dans une feuille de route pour une cacaoculture durable d’ici 2032, le Cirad pousse par exemple pour une autonomie renforcée des producteurs et productrices de cacao.

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