Un nouveau rapport sur Credit Suisse révèle comment la banque aurait dissimulé des informations sur des comptes bancaires nazis lors d’une enquête officielle dans les années 1990. En partenariat avec les archives de la RTS, on vous explique l’histoire de ces comptes dits «en déshérence»
Entre 1940 et 1945, en pleine Seconde Guerre mondiale, des banques suisses et la BNS, la Banque nationale suisse, achètent de l’or de la Reichsbank allemande. Le montant total s’élève, selon un premier rapport, entre 1,3 et 1,45 milliard de francs suisses. Il est à noter que, parallèlement à ça, plus ou moins 2,5 milliards de francs sont vendus ou avancés aux Alliés. La Suisse étant neutre, le franc suisse devient le seul moyen de paiement international durant la guerre.
Le problème avec l’or allemand est qu’il a été pris de manière illicite. Il a été découvert après la guerre qu’il provient des réserves des banques centrales de Hollande et de Belgique, mais aussi, en partie, des victimes des camps de concentration.
La BNS, selon ses propres archives, doute de l’origine de cet or dès l’été 1941. Mais continue ses achats, avec l’aval du Conseil fédéral. Leur calcul à l’époque, c’est qu’une telle stratégie protégerait la Suisse d’une invasion allemande. Après la guerre, la Suisse signe l’accord de Washington en 1946. Pour son comportement ambigu avec l’Allemagne nazie, elle s’engage à payer une amende de 250 millions de francs et à faire la lumière sur les comptes en déshérence de victimes juives des persécutions nazies. Mais les banquiers suisses s’y opposent en invoquant le secret bancaire. La Guerre froide commence et détourne l’attention des Alliés.
Après la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de la Guerre froide, le Congrès juif mondial profite de l’ouverture des pays ex-soviétiques pour tenter de retrouver les biens spoliés aux Juifs par les nazis et les communistes. C’est au cours de ces recherches, focalisées surtout sur les comptes en déshérence, que l’organisation découvre l’existence dans des banques suisses de comptes ayant appartenu à des juifs victimes du nazisme et laissés en déshérence, c’est-à-dire sans héritiers connus. Des descendants de ces personnes tentent, en vain, d’obtenir des renseignements auprès des banques. Celles-ci se retranchent derrière le secret bancaire.
Le Congrès juif mondial, dont le siège est aux Etats-Unis, entame alors une campagne de pression contre la Suisse. Un comité d’enquête est constitué en 1996 pour faire la lumière sur les comptes en déshérence. Il est présidé par Paul Volcker, ancien président de la Fed américaine. En parallèle, une commission indépendante d’experts, plus connue sous le nom de «Commission Bergier», est chargée de faire la lumière sur l’attitude de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale. Les deux commissions livrent leur rapport après des années d’enquête. Ce n’est pas moins de 200 à 400 millions de francs suisses d’avoirs qui appartiendraient à ces comptes en déshérence. Le rapport Bergier dévoile, entre autres, comment la Suisse a refoulé des Juifs en connaissance de cause du danger de mort.
En 2021, Credit Suisse rouvre ses archives et engage un avocat américain spécialiste des fraudes financières, Neil Barofsky, à la suite de soupçons soulevés par une ONG, le Centre Simon Wiesentahl. Mais la banque, qui au passage licencie Barofsky, rend difficile l’accès à certains documents, selon un rapport intermédiaire de l’enquête du Sénat américain. Ce dernier est finalement réintégré après la sortie du rapport.
Ce sont aujourd’hui plusieurs centaines de comptes qui ont été identifiés comme ayant un lien potentiel avec des nazis. Et plusieurs centaines d’intermédiaires, comme des avocats, qui auraient, eux, permis aux nazis de cacher leurs avoirs en Suisse.