Décédé à 96 ans, le fondateur du Front national laisse derrière lui un héritage controversé. Marine Le Pen, dans un hommage sobre, tourne la page d’un héritage tumultueux. Le Rassemblement national salue son rôle historique, relançant le débat sur la dédiabolisation du parti

«Un âge vénérable avait pris le guerrier mais nous avait rendu notre père»: par un sobre hommage à Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine a tourné ce mercredi la page d’une relation tumultueuse, sans un mot, comme les autres responsables du Rassemblement national (RN), sur les scandales qui ont jalonné le parcours du fondateur de son parti.

«Beaucoup de gens qu’il aime l’attendent là-haut. Beaucoup de gens qui l’aiment le pleurent ici-bas. Bon vent, bonne mer Papa!», a écrit sur X la triple candidate à la présidentielle, à peine 24 heures après le décès de son père à l’âge de 96 ans.

La cheffe de file des députés RN a appris la nouvelle mardi après-midi par la presse en revenant d’un déplacement à Mayotte. «On était dans l’avion, à Nairobi où on a fait une escale technique», et c’est là «que les journalistes présents dans le vol nous ont informés du décès», a expliqué le vice-président du RN Louis Aliot.

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Une relation père-fille dégradée

Une photo de la scène, dans laquelle apparaît Marine Le Pen en pleurs dans l’avion, a été diffusée, puis retirée, par Paris Match mercredi soir, provoquant l’indignation du RN. «Une indignité sans commune mesure», s’est ainsi ému le patron du parti Jordan Bardella.

Pour rappel, les relations entre Jean-Marie et Marine Le Pen s’étaient dégradées au fil des ans après l’accession en 2011 de la fille à la tête du Front national (FN), parti cofondé et dirigé 39 ans par le père, dont il avait fini par être exclu en 2015 à la suite de nouvelles déclarations antisémites. Les liens avaient été renoués en juin 2018 à l’occasion du 90e anniversaire du patriarche. En janvier 2022, Marine Le Pen avait ainsi indiqué qu’en cas de victoire à la présidentielle, son premier coup de téléphone serait pour lui.

Les obsèques de Jean-Marie Le Pen auront lieu samedi dans sa ville natale de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), «dans la plus stricte intimité familiale», ont indiqué ses proches. Il doit être inhumé dans le caveau où reposent ses parents. Une autre cérémonie, «religieuse et d’hommage», aura lieu le 16 janvier à 11h en l’église Notre Dame du Val-de-Grâce à Paris, rattachée au diocèse aux Armées françaises. Cette messe, décidée par Marine Le Pen et ses sœurs Marie-Caroline et Yann, sera ouverte au public.

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Des célébrations envisageables

Les deux événements devraient rester propices au recueillement, a estimé Louis Aliot, malgré les manifestations d’opposants dans plusieurs villes mardi soir pour célébrer la mort de l’ex-tribun d’extrême droite. «Ils ne vont pas venir manifester à un enterrement. Et s’ils le font, je suppose que l’Etat veillera à les maintenir loin», a déclaré le maire de Perpignan.

«Je n’ai aucune sympathie» pour Jean-Marie Le Pen «mais je ne fais pas partie des gens qui dansent sur la tombe des autres», a pour sa part déploré l’ancien premier ministre Edouard Philippe sur France 5.

Des «scènes de liesse honteuses» pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau mais qui n’ont «pas choqué» Mathilde Panot. La patronne des députés LFI a critiqué ceux qui se «disent Charlie le matin» et sont «choqués d’une jeunesse qui continue «d’emmerder le Front national» le soir». Jean-Marie Le Pen était «un tortionnaire en Algérie, qui a insulté des personnes de confession juive, musulmane, un homme multicondamné», a-t-elle rappelé.

Une réhabilitation posthume?

Autant d’aspects passés sous silence dans les hommages rendus par les différents responsables du RN. «Immense patriote, visionnaire» pour Sébastien Chenu, «tribun du peuple» pour Jean-Philippe Tanguy, communiqué dithyrambique du parti de Jordan Bardella sur celui qui «tint entre ses mains la petite flamme vacillante de la nation française».

Cette réhabilitation posthume au sein de sa famille politique, «c’est assez normal car le RN de 2025 en est là parce qu’il y a eu le FN avant», explique à l’agence de presse AFP Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite. «Ils ne peuvent pas dire autre chose, c’est une réalité historique, l’ascension et la consolidation du parti sont dues à Jean-Marie Le Pen qui a imposé l’immigration dans le débat. Et au sein du parti, il reste des gens, certes de moins en moins nombreux, qui ont milité avant 2011», a-t-il souligné.

Cette réhabilitation, dénoncée par les adversaires du RN comme une preuve que le parti ne s’est dédiabolisé qu’en apparence, peut-elle avoir un impact politique? «Non, Jean-Marie Le Pen avait disparu du paysage politique», a indiqué Jean-Yves Camus. Avant de conclure: «Pour les jeunes militants, c’est une histoire close, ils viennent pour Marine Le Pen et Jordan Bardella. Et les électeurs du RN n’entendent pas cet argument, ça ne fonctionne pas».

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