EDITORIAL. Le multimilliardaire et patron de Tesla, SpaceX et X exerce une influence inédite sur Donald Trump, qui sera investi à la présidence américaine le 20 janvier. Il participe d’une oligarchie technologique qui pourrait saper l’assise même de l’Etat
A quelques semaines des élections législatives allemandes, Elon Musk soutient de manière décomplexée l’Alternative pour l’Allemagne, le parti d’extrême droite. L’irritation des dirigeants européens face à l’ingérence du patron de Tesla dans les démocraties du Vieux-Continent est à la mesure de l’influence qu’exerce le plus riche citoyen du monde sur la politique. Le multimilliardaire est invité par Emmanuel Macron à l’inauguration de la nouvelle cathédrale Notre-Dame. Il parle à l’Indien Modi, au Turc Erdogan, assiste à la conversation téléphonique de Trump avec l’Ukrainien Zelensky. Pour le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui reprend à son compte l’expression du président français «d’internationale réactionnaire» pour qualifier les soutiens d’Elon Musk, ce dernier «attaque ouvertement nos institutions».
Le patron de SpaceX n’est pas seulement influent, il fait de la politique et ne cache plus ses affinités idéologiques. Durant la campagne présidentielle, il a investi un quart de milliard de dollars pour soutenir le candidat Trump. Il a propagé via son réseau X de la désinformation à la tonne, manipulant le cas échéant les algorithmes. Depuis l’élection du républicain, il est constamment à ses côtés à Mar-a-Lago.
Pour tenter de saisir les dangers que représentent Musk et la Big Tech pour une démocratie américaine déjà très affaiblie, il faut écouter Peter Thiel. Le fondateur de PayPal et Palantir dit ne plus croire que «la liberté et la démocratie sont compatibles». Elon Musk est sur la même longueur d’onde. La démocratie comporte trop de contraintes. Il considère l’Etat comme un obstacle majeur à ses intérêts économiques. D’où sa relation transactionnelle avec Donald Trump, sur lequel il a une emprise jamais vue outre-Atlantique pour un président en passe d’être investi.
Libertarien, Elon Musk cherche, comme ses compères de l’oligarchie technologique de la Silicon Valley, les Bezos, Zuckerberg ou encore Thiel, à éliminer les barrières régulatoires qui freinent son ambition. En comparaison, Ronald Reagan serait presque perçu comme un étatiste… Le magazine The Atlantic est convaincu que cette oligarchie entend profiter de la dépendance de l’Etat aux technologies pour «à terme, le supplanter». A cet égard, les chiffres sont éloquents. Entre 2019 et 2022, le Pentagone et le renseignement américain ont octroyé pour 53 milliards de dollars de contrats à la Silicon Valley.
Face à cette hyperpuissance de la tech, la politique apparaît désarmée. L’oligarchie technologique, qui n’a pas de conscience sociétale ni de sens du bien commun, a le potentiel de transformer l’Amérique en une démocratie illibérale avec l’aide d’un intermédiaire idéal: Donald Trump. Les responsables politiques américains doivent réagir. Mais n’est-il pas déjà trop tard?