En 2014, avec «La Petite Sœur», la romancière Mariana Enriquez consacrait un portrait à Silvina Ocampo, pionnière de la littérature fantastique en Argentine. Enfin traduit en français, il ouvre une voie d’accès royale à leurs deux œuvres respectives
Elle portait de grandes lunettes blanches, solaires, et des espadrilles rouges, rafistolées. Elle était richissime. Elle adorait les chiens. Elle était casanière, vivait dans un appartement humide, entourée de domestiques qu’elle n’osait pas commander. On lui prêtait des talents de voyance. Elle aurait pu devenir peintre; à Paris, elle avait étudié avec De Chirico. Elle préférait écrire, partout et tout le temps. Des poèmes narratifs, des nouvelles fantastiques – des histoires pleines de jeux dangereux, d’enfants pervers, de spectres et de fantômes, de décors en métamorphose.
Silvina Ocampo est «la petite sœur». Ayant grandi à l’ombre de ses cinq aînées dans une famille de l’élite aristocratique portègne, elle était surtout le pendant contraire de la «belle, intelligente, déterminée, intellectuelle, moderne» Victoria Ocampo, figure féministe indissociable de la vie littéraire du XXe siècle. Dans la crypte familiale où elles sont enterrées ensemble, aucune inscription ne mentionne la présence de la cadette. Cette anecdote déconcertante aurait pu suffire à attirer la romancière Mariana Enriquez qui écrit à l’encre du réalisme gothique argentin, dans l’aura mystérieuse de Silvina Ocampo. En réalité, toutes les manies et les univers singuliers de cette femme semblent faire écho à l’œuvre troublante de Mariana Enriquez: Ce que nous avons perdu dans le feu (2017), Notre part de nuit (2021), Les Dangers de fumer au lit (2022) sont tous traduits par Anne Plantagenet et publiés aux Editions du sous-sol.
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