De la flûte traversière qui ondule, les sonorités du oud façon parfum d’Orient et du balafon en toile de fond: du jazz pour passer l’hiver susciter des envies d’ailleurs
Musicienne charismatique, Clotilde Rullaud a fait de son chemin régulier entre Paris et Bobo-Dioulasso sa liberté musicale. Avec son quintet franco-burkinabè, elle unit les traditions d’Afrique de l’Ouest – à travers les sonorités percussives du balafon et le blues des rives du Niger – à ses influences jazz européennes. Le résultat? Une modernité poétique qui se décline dans un slam singulier en français, en moré ou en dioula. Kananayé, «c’est pas facile» en langue moré, titre de son nouveau disque, est un dicton auquel on répond traditionnellement: «Ça va aller!» Une pépite réconfortante, un coup de cœur vibrant.
Clotilde Rullaud, «Kananayé» (Tzig’Art production)
Quatre ans après avoir célébré l’œuvre jazz funk du flûtiste américain Hubert Laws dans son album Outlaws, la flûtiste française Ludivine Issambourg continue d’explorer avec talent les confins de l’improvisation sur son nouveau disque, Above the Laws. Souffle long, phrasés rythmés, chromatismes sculptés, la musicienne repérée il y a quelques années par Magic Malik impose son énergie lumineuse. En duo avec l’artiste Chassol, If You Knew, porté par les couleurs et les envolées lyriques de la flûte, souvent à l’unisson avec les claviers, porte la musique à une expérience presque mystique.
Ludivine Issambourg, «Above the Laws» (Heavenly Sweetness)
C’est une entrée remarquée dans le monde du jazz que fait le jeune pianiste Orson Claeys avec son premier E.P., Odyssey to Self. A tout juste 25 ans, le musicien belge impressionne par la qualité des arrangements et la profondeur de ses compositions. Le titre W.A.R. pour «Where Ancestors Rest» («où se reposent les ancêtres») est une ode à son grand-père dans laquelle son jazz fusionne avec les sonorités orientales du oud. La richesse mélodique de cette belle introduction à l'instrument arabe, rejoint par le piano et renforcé par les contrechants mélancoliques de la trompette, démontre toute sa finesse dans le choix des textures. Un nom à suivre de très près.
Orson Claeys, «Odyssey to Self» (Sdban Ultra)
Batteur et compositeur incontournable de la scène française du jazz, Edward Perraud a la discrétion et la modestie des grands. De l’ombre à l’aube, sous nouveau disque en trio avec Arnault Cuisinier à la contrebasse et Bruno Angelini au piano, déploie un univers tout en clair-obscur. Après deux albums qui exploraient l’espace et le temps, le musicien s’empare ici de la question de la lumière. Maître des blancs et des silences, également photographe, Edward Perraud se mue en prestidigitateur. Enigmatique, planante, sa musique procède par touches d’éclat et de vide. Loin d’en avoir peur, le trio le provoque, s’y engouffre pour faire apparaître chants et contrechamps.
Edward Perraud, «De l’ombre à l’aube» (Label Bleu)
Figure de la scène helvétique qui monte, la jeune pianiste fribourgeoise Manon Mullener s’apprête à sortir au printemps prochain Stories, son nouveau disque en quintet enregistré à New York. Après son enthousiasmant Insomnia, qui révélait cette musicienne férue de sonorités cubaine, le titre Xchel donne un avant-goût de ce qu’elle nous réserve. Attentive au monde, la pianiste a fait de ses voyages sa source d’inspiration. Dans Xchel, nom de la déesse de la lune, c’est un chauffeur de taxi dans le Yucatan qui remonte l’arbre de sa généalogie maya. Sans abandonner l’idiome du latin jazz, la musicienne qui signe toutes les compositions, prouve qu’elle sait aussi subtilement s’en affranchir.
Manon Mullener, «Stories». Sortie au printemps 2025.
Son album Joy Ascension, paru en 2020, avait révélé à nos oreilles la pianiste, chanteuse, et compositrice Macha Gharibian. D’origine arménienne, new-yorkaise d’adoption et parisienne de cœur, cette musicienne à la voix de velours a fait du métissage son identité. Annoncé pour janvier, son quatrième album, Phenomenal Women, évolue entre jazz oriental, sonorités néoclassiques et pop téméraire. Survoler la lune, balade très épurée et… lunaire, annonce le souffle poétique et l’hommage à la puissance féminine qui traverse ce disque.
Macha Gharibian, «Phenomenal Women». Sortie le 24 janvier.