L’église de la Sainte-Famille a reçu, dimanche, la visite du patriarche latin de Jérusalem. Le représentant du pape dans la région a tenté d’apporter un peu d’espoir à des fidèles qui, comme tous les Gazaouis, luttent pour leur survie, entre frappes israéliennes et pénuries alimentaires
A Gaza, c’était Noël avant l’heure. Dimanche 22 décembre, pour la première fois depuis de longs mois, dans le quartier de Zeitoun, au sud de la ville, Mousa Ayyad ne s’est plus senti en danger. Malgré des conditions de vie rudimentaires dans l’église de la bande de Gaza où il est réfugié depuis le début de la guerre, lancée en représailles à l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, le coordinateur administratif de l’Hôpital Al-Ahli Arabi était «heureux» et même «rassuré sur sa sécurité», pour quelques heures au moins.
Ce jour-là, le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, accompagné par son adjoint, Davide Melli, deux religieuses, et un convoi de voitures de l’ONG catholique Caritas, ont rendu visite aux 500 chrétiens bloqués dans l’enclave.
Dans le complexe religieux, le représentant du pape François dans la région a passé la nuit parmi les membres de la congrégation, entre des moments de prière et des discussions «sur la fin de la mort et de la famine», décrit le quadragénaire, via WhatsApp – l’armée israélienne continue d’interdire l’accès au territoire palestinien aux journalistes étrangers.
Dans l’église de la Sainte-Famille, le patriarche a aussi célébré une messe de Noël, deux jours avant la traditionnelle cérémonie organisée chaque année à Bethléem, en Cisjordanie occupée. Dans son homélie, l’archevêque italien a voulu rassurer sa congrégation éreintée par 14 mois d’un conflit sanglant au cours duquel plus de 45 000 personnes ont été tuées, dont une grande partie de civils: «Tôt ou tard, a-t-il assuré, la guerre se terminera, nous reconstruirons tout: nos écoles, nos hôpitaux et nos maisons. Nous devons être résilients et pleins de force.»
Deux jours plus tôt, le 20 décembre, le prélat n’avait pas pu prononcer son discours: il avait été refoulé au point de passage d’Erez, entre l’Etat hébreu et le nord de la bande de Gaza, malgré l’obtention de toutes les autorisations préalables auprès de l’armée israélienne. «Trop de combats en cours», justifiaient alors les militaires, selon une personne qui a participé à l’organisation de la visite, et qui souhaite garder l’anonymat. Depuis deux mois, l’armée de l’Etat hébreu mène d’intenses opérations militaires dans toute la zone.
Face aux cardinaux réunis à Rome, le lendemain, le pape François a dénoncé cette interdiction des autorités, qui avaient pourtant «promis» un accès. «Et hier, des enfants étaient bombardés, a ajouté le chef de l’Eglise catholique, en référence à des frappes aériennes responsables de la mort d’au moins 32 personnes, pendant le week-end, selon le Ministère de la santé du territoire administré par le Hamas palestinien. C’est de la cruauté, ce n’est pas la guerre.»
Le gouvernement israélien s’est insurgé face à ce que Gideon Saar, le ministre des Affaires étrangères, a qualifié de «propos décevants» et de «deux poids, deux mesures». Le Cogat, l’organisme du Ministère de la défense chargé de gérer les affaires civiles dans les territoires palestiniens occupés, s’est efforcé de prouver la bonne volonté de l’Etat hébreu en publiant, dimanche, un communiqué vantant en arabe l’assouplissement des mesures permettant aux chrétiens de la bande de Gaza de «coordonner leur départ vers des pays tiers».
En réalité, au cours de ces derniers mois, un seul membre de la congrégation a pu quitter – récemment – l’enclave pour Jérusalem, pour des raisons médicales. Début décembre, Fouad Ayyad avait perdu un œil et subi de graves blessures dans l’explosion d’un missile tiré par l’armée israélienne sur la ville de Gaza.
Le pessimisme s’est immiscé dans le complexe de la Sainte-Famille. «Les forces commencent à manquer», indique le curé, Gabriel Romanelli, d’une voix entrecoupée de longs silences, dans une série de notes audio envoyées par WhatsApp. Bloqué à Jérusalem pendant les sept premiers mois de la guerre, le prêtre argentin avait finalement pu revenir sur place à la mi-mai, à l’occasion de la dernière visite du cardinal Pizzaballa à Gaza.
Pour la communauté de fidèles, la routine – qui comprend une méditation silencieuse dès 7h du matin, des prières et les tâches quotidiennes, comme la distribution d’eau potable – ne suffit plus à faire oublier «la tragédie de la guerre». Sur les derniers marchés encore en activité dans le nord de l’enclave, les prix de tous les produits n’ont pas cessé d’augmenter: un kilo de tomates se vend aujourd’hui l’équivalent de 70 dollars (67 euros) et un œuf, 4 dollars. «J’ai trouvé des poivrons qui partaient à 200 dollars le kilo», détaille Elias Eljeldah, cadre à la Fédération générale des syndicats palestiniens, via WhatsApp, depuis l’église du nord du territoire côtier.
Parmi les chrétiens de Gaza, ceux qui le pouvaient ont dû reprendre leur emploi. Aujourd’hui, pour se rendre sur leur lieu de travail, quand il existe encore, la plupart parcourent de longues distances à pied, malgré les frappes aériennes régulières.
Puisque les banques sont désormais toutes fermées, un nouveau système de retraits s’est mis en place pour récolter son salaire auprès des derniers commerçants de la ville encore en activité, avec de l’argent liquide à disposition. «Mais ils prélèvent généralement 25% d’intérêt sur la somme versée», explique le quinquagénaire, originaire du quartier de Tel al-Hawa, dans le sud de Gaza.
Dans ce marasme, une seule bonne nouvelle rassure la petite communauté chrétienne: toutes les deux semaines, le patriarcat latin de Jérusalem parvient à faire entrer 100 tonnes d’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne. Grâce au soutien logistique de l’Ordre de Malte, l’institution chrétienne réussit même à envoyer des produits frais et des médicaments dans le nord du territoire palestinien. Selon le Père Gabriel, ces cargaisons permettent de nourrir 8000 familles, soit plusieurs dizaines de milliers de personnes, dans toute la ville de Gaza. «On distribue quelques fours pour que chacun puisse cuisiner», précise le religieux, qui aimerait aussi ouvrir une clinique dans les locaux de l’église catholique.
Le dernier chargement est arrivé le 19 décembre, quelques jours avant ce deuxième Noël sous les bombes, célébré «uniquement en intérieur», pour limiter les risques. Chaque jour, au-dessus de l’église de la Sainte-Famille, comme dans le reste de la ville de Gaza, les drones de l’armée israélienne vrombissent.