OPINION. Il faut s'inquiéter de la perte de vitesse des valeurs des Lumières et de l'arrivée d'un système de pouvoir uniquement guidé par les intérêts, et ce jusque dans notre pays, écrit Beat Bürgenmeier, professeur honoraire de l’Université de Genève

«Il y a quelque chose de pourri dans ce royaume»: c’est ainsi que s’exclame Hamlet, prince de Danemark, simulant la folie pour venger la mort de son père. Aujourd’hui, nous sommes loin de cette histoire, mais nous continuons à aller au théâtre pour assister à de nouvelles pièces. Ainsi nous avons été les spectateurs impuissants de l’élection de Donald Trump à la tête du pays prétendument protecteur de notre sécurité et défenseur du monde libre. En bons démocrates, nous avons pris acte et avons continué à suivre d’autres spectacles, dont les décors sont tout aussi anxiogènes, allant du Darfour à Taïwan, en passant par l’Ukraine et le Moyen-Orient.

Et ce n’est peut-être pas seulement dans ces pays qu’il y a quelque chose de pourri, mais également dans le nôtre. Idée saugrenue?

Inquiétude en Suisse aussi

Pourtant, nous avons dû constater qu’un des membres de notre gouvernement a une préférence pour Donald Trump et que bon nombre des représentants économiques investis dans la défense des intérêts de notre pays lui sont également favorables, jugeant sa compétence économique supérieure à celle de sa malheureuse concurrente. Leur porte-parole, la Nouvelle Gazette de Zurich, un journal libéral once upon a time, ne tarit pas d’éloges pour le nouveau président et passe pudiquement sur le fait que sa politique économique est avant tout un affront à la doctrine du libre-échange. Le mot d’ordre est simple: le monde de la politique et de l’économie doit être guidé par les intérêts et non par la morale. Tant pis pour les âmes sensibles, il faut vivre avec son temps: être grossier est devenu la nouvelle marque de compétence. Après «America First», pourquoi pas «Priorité à l’économie suisse», et fermons les yeux sur les malheurs du monde.

Dans ce sillage, personne ne semble s’émouvoir que 1000 notables triés sur le volet se sont réunis à Zurich pour applaudir chaleureusement Alice Weidel, tête de proue de l’Alternative für Deutschland, sans se montrer gênés par ses propos méprisants et haineux. Qui osera dès lors s’engager encore pour les valeurs des Lumières? Des naïfs, est-on tenté de conclure, puisque nous sommes en train de tous devenir Américains.

Or, les ruses d’un Trump ou d’un Hamlet pour conquérir le pouvoir ne servent à rien, et au fond nous savons pertinemment que cela finira mal.