ANALYSE. Depuis un an, Pékin a multiplié les démarches de médiation pour s’afficher en promoteur de la paix. Un activisme qui répond à un besoin de redorer son image autant qu’à celui de défendre ses intérêts. L’élection de Donald Trump pourrait lui donner un coup de pouce en Ukraine comme au Proche-Orient

La diplomatie fera-t-elle taire les armes en Ukraine en 2025? Et si oui, à quelles conditions? Plusieurs Etats se sont profilés comme médiateurs depuis 2022. Parmi eux, la Chine dont le «Consensus en six points», présenté avec le Brésil en mai dernier, prône un cessez-le-feu immédiat. Après avoir été décriée par Volodymyr Zelensky, cette proposition est étudiée de plus près par Kiev, surtout depuis l’élection de Donald Trump. Dans une nouvelle phase du conflit, la Chine pourrait-elle dès lors s’imposer comme une puissance de paix?

Cette ambition est illustrée par plusieurs initiatives récentes de Pékin, sur divers terrains. La première, en mars-avril 2023, a permis la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous les auspices de la diplomatie chinoise, cosignataire d’un accord paraphé à Pékin. Un accord qui fut le prélude à une normalisation des relations entre les pays arabes et la Syrie de Bachar el-Assad.

En juillet 2024, la Chine intervient sur le terrain proche-oriental en promouvant la réconciliation intrapalestinienne. En pleine offensive israélienne, 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le Hamas, se retrouvaient à Pékin pour signer une déclaration appelant à la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Cet accord est présenté comme le plus abouti par les Palestiniens. Pékin se positionne ainsi pour la reconstruction et la stabilisation de la région.

En septembre de cette année, enfin, Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, rassemble 17 pays du Sud pour la création d’un groupe des «Amis de la paix» sur la crise ukrainienne à l’Assemblée générale de l’ONU à New York. La Suisse est le seul pays occidental invité. Cette initiative fait suite à la publication, en février 2023, d’un document exposant «la position chinoise sur une résolution politique de la crise en Ukraine», un peu vite présenté comme un plan de paix, et à la proposition sino-brésilienne du mois de mai.

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Succès et échecs

Ces trois initiatives, en l’espace d’une année, ont connu des destins contrastés. L’initiative irano-saoudienne est un succès avec la reprise des communications entre deux Etats qui avaient rompu durant sept ans tout contact. Les experts relativisent toutefois le rôle de la Chine en tant que médiateur et soulignent plutôt le geste de bonne volonté de ces deux pays envers la Chine en lui offrant une tribune comme faiseur de paix.

L’initiative intrapalestinienne a aussitôt volé en éclat en raison de l’élimination de plusieurs protagonistes de l’accord, Israël ayant décapité la direction du Hamas. La Chine pourrait toutefois jouer un rôle au moment de la reconstruction de Gaza. Son poids économique et politique, le fait qu’elle n’est pas impliquée dans le conflit israélo-palestinien et ses bons contacts avec toutes les parties plaidant en sa faveur comme médiateur le moment venu.

Quant à l’initiative sur l’Ukraine, c’est pour l’heure un échec. D’abord rejetée par Kiev, elle est désormais modérément appréciée par Moscou. Réunis à Kazan en octobre, les pays des BRICS l’ont à peine évoquée dans leur communiqué final, sans référence à la Chine. Il reste à voir si elle fera son chemin à l’ONU.

Les étapes d’un récit

La Chine comme actrice de paix? Depuis sa création en 1949, la République populaire, à l’image du camp communiste, s’affiche comme un pays pacifique. Trois jalons nourrissent ce discours. Tout commence en 1955 avec les principes de la coexistence pacifique adoptés lors de la Conférence de Bandung dont Pékin s’attribue la paternité à travers l’action de Zhou Enlai lors de la Conférence de Genève sur l’Indochine un an plus tôt. Les communistes chinois s’affirment dès lors en leaders des non alignés. Après la rupture sino-soviétique, les tenants de cette troisième voie disent se tenir à l’écart des conflits de la Guerre froide.

En 2005, alors que la Chine émerge au bénéfice de la globalisation, le secrétaire général du parti, Hu Jintao, promeut la théorie du développement pacifique. Il s’agit à ce moment-là de rassurer ses partenaires sur les intentions et la nature de cette nouvelle puissance alors que la théorie d’une menace chinoise revient en force. Pékin défend la paix par l’intensification du commerce.

En 2012, enfin, la prise de pouvoir de Xi Jinping correspond à une rupture. En lançant ses réformes, Deng Xiaoping avait adopté une diplomatie prudente. Pour le nouveau secrétaire général du parti, le temps est venu d’affirmer son leadership mondial et d’assumer ses responsabilités en tant que grande puissance. Pour prévenir les craintes envers une Chine conquérante, le parti va développer une autre théorie: celle d’une «communauté globale de destin partagé» par opposition à l’universalisme associé à l’Occident et ses valeurs. Plusieurs initiatives s’inscrivent dans cette logique, la principale étant celle des Routes de la soie, un programme d’infrastructures financé par Pékin pour favoriser le commerce et donc la paix.

Une histoire d’harmonie

Le Parti communiste peut ainsi présenter un récit national linéaire, l’histoire d’un peuple dont l’essence serait la quête de l’«harmonie». Ses dirigeants se distingueraient par une propension à la paix, preuve en est que la Chine n’aurait jamais cherché à faire des conquêtes coloniales, contrairement aux impérialismes occidentaux. La réalité est quelque peu différente. Pékin a été en conflit ouvert avec l’URSS dans les années 1960, au point de se préparer à une attaque nucléaire. Les troupes chinoises sont intervenues contre le Vietnam à la fin des années 1970, avec une cuisante défaite à la clé. La Chine s’est surtout engagée massivement dans la guerre de Corée (1950-1953) avec l’envoi de centaines de milliers de «volontaires» pour contrer les forces sudistes sous l’étendard de l’ONU.

La RPC est par ailleurs l’héritière d’une histoire impériale et impérialiste. Elle s’inscrit dans la continuité de l’empire mandchou qui avait conquis non seulement les 18 provinces chinoises, mais le Turkestan oriental (Xinjiang), le Tibet ou la Mongolie intérieure. Au XIXe siècle, les conflits pour le contrôle des minorités et une guerre civile ont fait des millions de morts. La Chine ne peut ainsi prétendre être un espace qui aurait été traditionnellement moins guerrier qu’un autre. Ses voisins, Vietnam en tête, peuvent en témoigner.

Tensions grandissantes

Ces initiatives de paix interviennent ainsi dans un contexte de divergences grandissantes en Asie de l’Est. La Chine est en conflit sur la délimitation de ses frontières avec plusieurs pays en mer de Chine du sud, ainsi qu’avec le Japon et l’Inde. Taïwan, dont l’autonomie est contestée, reste la cible permanente des menaces du Parti communiste. C’est le principal foyer de tensions. Alliés de la plupart de ces pays par divers traités de sécurité, les Etats-Unis sont pour leur part le principal concurrent d’une hypothétique pax sinica en Asie de l’Est. A cela s’ajoutent les tensions internes: récurrentes au Tibet avec la poursuite de la colonisation, au Xinjiang soumis à la sinisation et aux camps de rééducation, à Hongkong, enfin, où Pékin a rompu le contrat «un pays, deux systèmes» pour annihiler le camp démocrate.

Sur tous ces fronts, la Chine est perçue comme étant de plus en plus agressive. Sur le plan diplomatique, Pékin promeut une nouvelle génération dite des «loups combattants». Ses ambassadeurs n’hésitent plus à monter au front. Le nationalisme chinois laboure l’idée d’une revanche pour définitivement effacer le «siècle d’humiliation» (1839-1949, des guerres de l’opium à la Libération). Les initiatives de paix doivent donc se comprendre comme une façon de corriger cette image belliqueuse.

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L’alignement entre Moscou et Pékin

Dans le cas de l’Ukraine, à ce jour, la Chine n’a pas formellement de plan de paix. L’espoir des Européens, et un temps des Etats-Unis, de la voir agir sur la Russie ne s’est pas, jusqu’ici, concrétisé. A aucun moment Pékin n’a fait pression sur Moscou. La Chine se présente comme un Etat neutre. Elle est en réalité le principal allié de la Russie. Jamais depuis Staline et Mao les relations entre les dirigeants des deux pays n’ont été aussi chaleureuses. Pour rappel, à la veille de l’agression russe de février 2022, les deux dirigeants évoquaient un «partenariat sans limite». Un an plus tard, à Moscou, ils parlaient d’un nouveau monde qu’ils façonneraient ensemble. S’ils refusent de parler d’alliance, c’en est bien une désormais. Mieux, une «communauté de destin» dans le langage de Pékin.

Il y a en effet une convergence géostratégique entre la Chine et la Russie. Ils partagent la même lecture des relations internationales, le même vocabulaire pour les décrire («Sud global» face à l’«Occident collectif»), et une même conception d’un monde multipolaire. Ce sont deux empires qui raisonnent en termes de sphères d’influence avec un ennemi commun: les Etats-Unis et l’OTAN. Pékin refuse ainsi de parler de guerre en Ukraine. Et Xi Jinping refuse de rencontrer Volodymyr Zelensky. Pékin valide la nécessité d’une intervention russe en Ukraine afin de résister à l’OTAN et au «régime nazi» à sa botte à Kiev. Le «Consensus» sino-brésilien de mai 2024 avait pour principal objectif de faire dérailler le processus du Bürgenstock, un sommet pour la paix organisé par la Suisse auquel ont participé 90 pays.

L’alignement de Pékin sur Moscou s’est non seulement vérifié avec le refus d’envoyer un émissaire à la conférence du Bürgenstock (à l’inverse de l’Inde et le Brésil). Il se confirme dans le communiqué du groupe des «Amis de la paix» sur la crise ukrainienne de septembre. Pékin parle de «préoccupation légitime» de la Russie en matière de sécurité et de «garantir l’espace vital légitime de tous les groupes ethniques». Il le fait au nom du «Sud global» dont les voix seraient «plus objectives, équilibrées et rationnelles» que celles de l’Occident.

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Les limites de la Chine

La Chine met toutefois une limite à son soutien: le chantage et l’usage de l’arme nucléaire. Elle avance par ailleurs sur une corde raide sur la question de la souveraineté, en raison de Taïwan. Si elle devait valider les gains territoriaux russes, elle reconnaîtrait que les frontières internationales ne sont pas intangibles, ce que l’île ne manquerait pas de souligner.

Les initiatives chinoises sur la paix répondent à deux impératifs. D’une part, mettre fin à des conflits qui ont un impact négatif sur l’économie et donc la stabilité du régime. La Russie et le Proche-Orient sont les principaux pourvoyeurs d’hydrocarbures. L’Ukraine est un fournisseur de céréales. D’autre part, affirmer son leadership du «Sud global» en vue d’une redéfinition des relations internationales.

S’investir dans la paix permet de renforcer à moindres frais l’image d’une puissance responsable. Ce soft power, domaine dans lequel la Chine est encore à la traîne face à ses concurrents occidentaux, a en effet souffert de la crise du covid. Les origines cachées du virus et l’enfermement du pays durant près de trois ans ont laissé des traces. Se positionner en acteur international de la paix est une façon de pallier ce déficit.

Avec l’aide de Trump

Ces prochains mois diront dans quelle mesure Pékin et Brasilia parviennent ou non à rallier une majorité d’Etats à leur proposition de cessez-le-feu. La démarche des «Amis de la paix» devrait trouver un écho favorable au Sud. Pour l’heure, Moscou ne veut toutefois pas en entendre parler. Un coup de pouce inattendu pourrait toutefois favoriser Pékin: l’élection de Donald Trump. Le président des Etats-Unis va en effet marginaliser son pays dans le système multilatéral, ce qui ouvrira le champ à la Chine, appelée à combler un vide. C’est ce qui s’était passé en 2017. A peine Donald Trump était-il entré en fonction que Xi Jinping s’autoproclamait défenseur de la globalisation économique à Davos contre le protectionnisme des Etats-Unis. Le lendemain, il était à Genève pour se faire le champion du multilatéralisme et du droit international. Face à l’imprévisibilité des Etats-Unis, la Chine regagnera en influence sur la scène internationale.

Le retrait américain devrait par ailleurs précipiter le règlement des conflits à l’avantage de la Russie en Ukraine et d’Israël au Proche-Orient. En l’absence de leadership américain, la Chine se retrouvera dans une position de potentiel nouvel arbitre. Son plan de cessez-le-feu pour l’Ukraine pourrait alors s’imposer comme le plus petit dénominateur commun pour réunir les acteurs autour d’une table de négociation. Cela reste très hypothétique, mais Trump pourrait offrir cette chance à Xi. Si la Chine n’est pas en position aujourd’hui d’imposer ses solutions de paix dans le monde, elle a toutefois une carte à jouer au Proche-Orient et en Ukraine. Cela dépendra en grande partie de la capacité des Européens à offrir une alternative crédible à l’isolationnisme de Washington d’une part, et à l’hégémonisme sino-russe d’autre part.

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