Une soirée de décembre dans un parc, à Amman. L’écrivaine franco-suisse Elisa Shua Dusapin réside depuis cinq mois en Jordanie. Pour le plus grand plaisir des lecteurs et lectrices du «Temps», elle a imaginé, à sa façon, un conte de Noël
C’est un parc où je vais le soir quand il fait moins chaud. Il se trouve devant la mosquée, sur la colline de Jabal Amman. J’en ai besoin pour ses arbres et la présence des chats, malgré celle de la police à cause des ambassades d’Allemagne et d’Arabie saoudite. De là, on aperçoit la colline d’en face, plus populaire, un camp de réfugiés peu à peu transformé en bicoques de calcaire, effritées par les vents du désert, l’alternance de canicule et de gel sur la capitale de Jordanie, à presque mille mètres d’altitude. J’y vis depuis cinq mois.
Ce soir, une femme en niqab s’installe sur le même banc que moi. Un grenadier nous surplombe. Il n’a plus de fruits, mais les palmiers croulent encore sous les dattes, elles pendent comme des nids d’insectes obèses. D’un cabas, la femme sort un thermos, remplit de thé deux minuscules gobelets en carton, m’en tend un que j’accepte par politesse. Ses mouvements m’ont fait apercevoir un poignet à l’ossature solide. Elle l’a sitôt recouvert. Sa robe est finement brodée. J’ai la tête nue, la nuque dégagée par un chignon. Embarrassée par ses efforts pour ne rien montrer de son corps, j’ose à peine croiser son regard en la remerciant. Mascara, fard à paupières, elle est très maquillée, et doit avoir mon âge. Un pendentif autour de son cou représente une tranche de pastèque, le fruit aux couleurs de la Palestine, devenu un symbole du drapeau interdit à l’ouest de la frontière.
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