L'Américano-canadien, connu pour ses opérations spectaculaires contre la chasse aux cétacés, bénéficie d'un large soutien en France où il réside. Au Japon, le grand public le considère plutôt comme un escroc
Le marin aux cheveux blancs Paul Watson a pu sortir de prison mardi. A cette annonce, ses défenseurs ont été nombreux à laisser exploser leur joie, en particulier en France. «Quel soulagement! Je salue la libération de Paul Watson, après cent quarante-neuf jours de détention au Danemark. Bon retour à lui parmi les siens. La mobilisation collective a payé», a écrit sur X la ministre française de la transition écologique démissionnaire, Agnès Pannier-Runacher.
L’antenne française de l'ONG qu'il a créé, Sea Shepard, a été la première à annoncer sur le réseau social X cette nouvelle, également applaudie et relayée par de nombreuses personnalités écologistes et de gauche.
« Je suis dans le sas de la prison, j’attends que Paul sorte. Il est actuellement avec la Police et doit préparer ses affaires…. Surréaliste, j’ai encore du mal à y croire ✨ »@LamyaEssemlali
— Sea Shepherd France (@SeaShepherdFran) December 17, 2024
Manifestations, pétitions, pages Facebook: des dizaines de milliers de personnes se mobilisaient depuis des mois pour réclamer la libération du célèbre défenseur de cétacés de 74 ans. Le militant peut désormais rejoindre sa femme et ses fils en France, où il réside et où il a demandé l’asile politique et la nationalité. Dans son pays d'accueil, ses soutiens dépassent les cercles écologistes. En juillet dernier, l’Elysée avait fait savoir que le président Emmanuel Macron suivait «la situation de près» et était «intervenu auprès des autorités danoises» pour éviter l’extradition de Paul Watson, écrivait Le Monde.
Le cas était devenu embarrassant pour le Danemark qui avait tenté, en vain, de ne pas en faire une affaire politique. Après des mois marqués par des débats houleux jusqu'au parlement européen, le ministère danois de la justice a décidé de rejeter la demande d’extradition vers le Japon, où Paul Watson encourait une peine de prison allant jusqu’à 15 ans.
Le militant écologiste avait été arrêté en juillet dernier dans le port de Nuuk, capitale du Groenland, territoire autonome du Danemark, pour des faits qui remontent à 2010 dans les eaux antarctiques. Tokyo, qui l’accusait d’avoir accosté un baleinier et blessé un membre de l’équipage, avait émis un mandat d’arrêt international contre lui en 2012.
Paul Watson, lui, s’est d’abord félicité d’avoir pu attirer l’attention sur la chasse à la baleine grâce à ce séjour en prison, avant de se réjouir de pouvoir passer Noël en famille. «Je suis certainement soulagé car cela signifie que je vais pouvoir voir mes deux petits garçons, a-t-il déclaré au Guardian. C’est vraiment ma seule préoccupation depuis le début. Je comprends les risques de ce que nous faisons et il arrive que l’on se fasse arrêter - même si je suis fière de n’avoir jamais été condamné pour un délit».
Le Danemark se tire d’une situation délicate, remarque ce mercredi le quotidien français: en refusant d’extrader vers le Japon le célèbre protecteur des cétacés, le gouvernement danois «est sorti par le haut du bourbier diplomatique où il se trouvait plongé depuis bientôt cinq mois». La défense du militant avait déjà prévenu qu’elle saisirait la Cour suprême danoise, mais également la Cour européenne des droits de l’homme en procédure d’urgence, en cas d’acceptation de son extradition.
«Le Danemark a trouvé un argument technique astucieux pour ne pas donner satisfaction au Japon, sans l’humilier», commente dans Le Monde William Bourdon l'un des avocats de Paul Watson. L’extradition a été refusée en raison du temps écoulé depuis les faits reprochés - 14 ans - et de la nature de ces faits.
Mais surtout parce que le ministre danois de la justice Peter Hummelgaard estime n’avoir pas obtenu de garanties suffisantes lors d’échanges à ce sujet avec les autorités japonaises, que les cinq mois déjà passés en prison par Paul Watson seraient déduits d’une éventuelle peine privative de liberté, comme il le précise dans une déclaration publique soulignant qu’il n’existe pas de traité d’extradition entre le Japon et le Danemark.
Dans cette déclaration, le gouvernement danois se défend de toute critique envers le système judiciaire et pénitentiaire japonais, précisant bien que «le Danemark ne partage pas les préoccupations exprimées par certaines parties en ce qui concerne le cas concret du système judiciaire japonais et la protection des droits de l’homme au Japon. Le Japon est un pays démocratique guidé par l’État de droit. Un dialogue étroit et de qualité a été établi avec les autorités japonaises au cours du traitement de l’affaire».
«Il est regrettable que le gouvernement du Danemark n’ait pas accepté notre demande d’extradition et nous lui avons fait connaître notre réaction. Le Japon va continuer de traiter ce cas comme il se doit sur la base de preuves et du droit», a réagi mardi Yoshimasa Hayashi, porte-parole du gouvernement japonais. Au Japon, on comprend mal l'engouement européen pour ce militant, écrit la correspondante de Libération à Tokyo.
Dans les pages du quotidien français, Hideki Tokoro, patron de l’entreprise Kyodo Senpaku, qui possède et exploite la principale flotte baleinière nippone, exprime sa colère et son incompréhension: «Cette décision m’a surpris. Franchement, Watson est coupable de délits, ce qu’il a fait, ce sont des tentatives de meurtre contre nos équipages». Le patron, figure de la pêche commerciale aux cétacés, espère que le gouvernement japonais ne lâchera pas l'affaire et continuera de réclamer l'extradition de Paul Watson. «Il serait fâcheux que les délits qu’il a commis soient pris à la légère. Nous avons rassemblé les preuves».
Les médias nippons ont assez peu couvert cette affaire. Mais le défenseur des baleines n'a pas les faveurs du grand public japonais, qui le considère plutôt comme un «terroriste» ou un «escroc dont les actions visent à collecter des fonds au prétexte de sauver les cétacés», relève Libération: «Beaucoup ne comprennent pas pourquoi les pays occidentaux sont à ce point préoccupés par les baleines que les autorités japonaises, elles, ne considèrent pas comme étant des espèces menacées».
Pionnier de Greenpeace, Paul Watson a participé aux premières opérations de l’association écologique à ses débuts avant de s’en écarter pour fonder l’organisation Sea Shepard (bergers de la mer) en 1977, qui s’est fait connaître depuis pour ses opérations spectaculaire en mer contre le braconnage des baleines à l'aide de méthodes controversées, qui lui ont valu plusieurs poursuites judiciaires et les critiques des adeptes de la non-violence. C'est d'ailleurs en raison de sa rupture avec la ligne exclusivement pacifique de Greepeace qu'il avait été exclu de l'organisation écologiste.
Le sort du militant avait fait l’objet d’un débat au parlement européen en septembre. Le député européen allemand d’extrême droite Siegbert Droese (Alternative pour l’Allemagne) l’avait alors traité d’«écoterroriste». Aussitôt sorti de prison, Paul Watson a aussitôt porté plainte en diffamation auprès du tribunal judiciaire de Paris.