En 1958, cet international français avait renoncé à la Coupe du monde avec les Bleus pour rejoindre, via la Suisse, l'équipe du FLN. Quatre ans plus tard, il était revenu chez les Verts après un transit de cinq mois à Servette. Il est mort à l'âge de 88 ans
Légende de l'AS Saint-Etienne et du football algérien, célèbre pour avoir joué durant quatre ans (1958 à 1962) pour l'équipe itinérante du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d'Algérie, Rachid Makhloufi est mort à l'âge de 88 ans, a annoncé vendredi le président Abdelmadjid Tebboune. L'annonce de son décès par le président de la république algérienne témoigne de l'importance qu'a eu dans l'histoire de son pays cet attaquant né en 1936 à Sétif dans ce qui était alors l'Algérie française.
Repéré par l'entraîneur Jean Snella, Rachif Mekhloufi était arrivé en 1954 à l'AS Saint-Etienne où il avait découvert une population locale plus respectueuse et bienveillante que ce à quoi il avait été habitué au contact des Français d'Algérie. Il restait toutefois marqué par le massacre de Sétif en mai-juin 1945, la répression violente par les autorités françaises de manifestations indépendantistes et anticolonialistes, dont le bilan fait toujours débat (entre 5000 et 30 000 morts algériens).
Avec 25 buts marqués, il est l'un des grands artisans du premier titre de champion de France en 1957 de l'AS Saint-Etienne, qui contestait la domination du Stade de Reims. Champion du monde militaire avec la France la même année, déjà appelé quatre fois en équipe de France par le sélectionneur Albert Batteux, Mekhloufi semblait promis à 21 ans à un brillant avenir et à la Coupe du monde 1958 en Suède.
Mais en avril 1958, en pleine guerre d'Algérie, il quitte sans hésiter son club et la métropole, accompagné d'une vingtaine d'autres joueurs algériens, pour rejoindre l'équipe du FLN, créée pour promouvoir la lutte pour l'indépendance. Comme l'équipe du Honved Budapest, qui est devenue une équipe itinérante multipliant les matchs amicaux à la suite de l'insurrection de Budapest en 1956, les dirigeants du FLN imaginent qu'une sélection nationale, surnommée le «Onze de l'Indépendance», favorisera l'émergence d'une «identité nationale algérienne» et jouera un rôle d'ambassadeur à l'étranger.
Menée dans le plus grand secret, l'exfiltration des joueurs algériens professionnels en France (quelques uns refuseront) se déroule le 14 avril 1958, alors que l'équipe de France doit jouer contre la Suisse le 16 avril à Paris (0-0). Mekhloufi n'y est pas, il a rejoint Lausanne en voiture - une Simca Aronde - avec le Lyonnais Abdelhamid Kermali. Des 33 footballeurs de première et deuxième divisions qui «désertent» ainsi, il est le seul avec Mustapha Zitouni (AS Monaco) à bénéficier d'un statut de star et d'un salaire très confortable. Le sacrifice de leur carrière et de leur fortune a un très fort impact sur l'opinion publique et sur leurs compatriotes.
Les joueurs se retrouvent ensuite à Tunis, où ils restent basés lorsqu'ils ne jouent pas, contre des pays du bloc de l'Est essentiellement. En quatre ans, Rachid Mekhloufi joue 40 matchs et inscrit 43 buts pour l'équipe du FLN. Les accords d'Evian, le 18 mars 1962, signent la fin de la guerre et la naissance de l'Algérie indépendante. Rachid Mekhloufi peut envisager à 26 ans de reprendre le fil de sa carrière. Il appartient toujours légalement à l'AS Saint-Etienne, qui est tombé en deuxième division et veut récupérer son joyau, mais le climat ne s'y prête guère, et sa forme physique est précaire.
Vient alors l'idée d'un passage par le Servette, que Jean Snella a rejoint en 1959. «Mekhloufi pour un an à Genève», titre le Journal de Genève du 8 août 1962. «Celui-ci s'est empâté, a perdu le rythme de la vraie compétition après quatre ans d'exil», consigne Jacques Ducret dans son livre sur le Servette (L'Âge d'Homme, 1976). Snella, qui ne peut aligner qu'un seul de ses deux étrangers, le préfère pourtant au défenseur latéral yougoslave Tomislac Crnkovic. A raison puisque après un match nul à Bienne (3-3), Mekhloufi inscrit trois doublés consécutifs contre le FC Bâle, Grasshopper et le FC Sion. Il marque aussi deux fois contre Feyenoord au premier tour de la Coupe d'Europe des clubs champions européens, mais Servette est éliminé en match d'appui.
Il est sur la pelouse pour le fameux derby contre Lausanne qui attire 27 000 spectateurs aux Charmilles. Mais le LS gagne (1-3) et prend le large au classement. Les terrains lourds de l'automne lui sont moins favorables. A Granges, il ressemble «au Kopa des mauvais jours qui s'enferrent dans ses dribbles», tacle Jacques Ducret. Rachid Mekhloufi marque deux buts lors de son dernier match pour Servette, une très large victoire en Coupe sur Stade Lausanne (14-2) devant 1750 spectateurs le 4 novembre 1962 aux Charmilles, puis retrouve le Forez et le maillot vert. Il ne sera finalement resté que cinq mois à Genève, laissant un souvenir mitigé mais des statistiques remarquables (14 matchs, 12 buts).
Le Servette FC pleure aujourd’hui la disparition de Rachid Mekhloufi, légende du football algérien et de l’AS Saint Etienne.
— Servette FC (@ServetteFC) November 8, 2024
Nous avons eu l’immense privilège de l’accueillir sous nos couleurs en 1962.
Nos pensées vont aujourd’hui à sa familles et ses proches ???? pic.twitter.com/tuG7kVFh8o
A Saint-Etienne, où Jean Snella le rejoint à l'été 1963, Rachid Mekhloufi retrouve très vite ses marques et l'affection du public. Pour son entraîneur, cité par L'Equipe, Mekhloufi est de «la race des savants auxquels on n'a rien à apprendre, qui inventent le football. Une perle, le partenaire idéal». Avec lui, les Verts sont champions de France en 1964, 1967 et 1968, année du premier doublé coupe-championnat. Mais il est poussé sur le banc en fin de saison 1968 par le jeune Jean-Michel Larqué, qui pleure aujourd'hui la mort d'«un immense joueur, mon exemple, mon modèle, mon maître en tant que professionnel».
A 32 ans, il quitte Saint-Etienne après 339 matchs et 152 (deuxième meilleur total historique après Hervé Revelli). Il devient entraîneur-joueur à Bastia durant deux saisons puis raccroche et devient, par trois fois, sélectionneur de l'équipe d'Algérie qu'il a contribué à créer. Lors de son troisième mandat, il mène avec Mahieddine Khalef les Fennecs à un extraordinaire succès 2-1 sur l'Allemagne fédérale lors de la Coupe du monde 1982 en Espagne.
A l'annonce de son décès, les hommages venus d'Algérie comme de France ont souligné la qualité du footballeur mais aussi de l'homme. Alors que la place de la politique dans le sport est fortement débattue, Rachid Mekhloufi en aura donné une expression dignes et forte.