La ministre des Finances Karin Keller-Sutter s’est entretenue avec son homologue britannique, Rachel Reeves, jeudi à Londres. Les deux femmes ont évoqué une alliance contre les efforts du nouveau président américain pour déréguler la finance

L’onde de choc délivrée par l’élection de Donald Trump à la présidence américaine continue de se propager jusque dans les recoins les plus inattendus de l’administration fédérale. La ministre des Finances Karin Keller-Sutter était jeudi à Londres pour rencontrer son homologue britannique Rachel Reeves. Et l’élection du trublion républicain a figuré au cœur de leur entretien.

«Nous avons évoqué les possibles conséquences de l’élection de Donald Trump sur la déréglementation des marchés financiers», indique la conseillère fédérale par téléphone, à l’issue de la rencontre. Ce qu’il fera une fois au pouvoir relève de la «spéculation» mais, en amont de l’élection, des voix au sein du camp républicain s’étaient élevées pour dénoncer certaines des règles gouvernant le système financier, précise-t-elle.

Ces revendications figurent dans Project 2025, une plateforme établie par le think tank conservateur Heritage Foundation avec le soutien de nombreux parlementaires de droite. Ce document appelle à dénoncer les dispositions de la loi Dodd-Frank, introduite dans le sillage de la crise de 2008, qui ont pour but de fournir un soutien de l’Etat aux institutions «too big to fail». Cet accès à des «fonds subventionnés» encouragerait les banques «à s’endetter excessivement et à multiplier les investissements à haut risque», dénonce la plateforme.

Celle-ci réclame aussi l’annulation d’une partie des mesures contre le blanchiment d’argent, les jugeant «coûteuses» et «inefficaces», et prévoit de réformer la Réserve fédérale, en lui retirant la supervision de la politique monétaire américaine pour la remettre aux banques et revenir à un système où le dollar serait garanti par des dépôts d’or. A cela s’ajoute un appel à se retirer de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.

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Des craintes pour la stabilité financière

«Nos deux places financières seraient gravement touchées par de telles mesures, indique Karin Keller-Sutter. La Suisse et le Royaume-Uni ont pour particularité d’avoir des économies où le secteur bancaire occupe une place disproportionnée. En Suisse, nous hébergeons également une institution financière [UBS, ndlr] d’importance systémique sur le plan mondial.»

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La conseillère fédérale PLR et son homologue britannique se sont mises d’accord pour faire front commun en cas d’offensive américaine contre la réglementation financière. «Nous avons évoqué la possibilité de réagir de concert dans le cadre du Conseil de stabilité financière ou d’autres institutions internationales», dit-elle. Et de préciser: «Nous restons concurrents sur le plan financier mais nous avons aussi de nombreux intérêts en commun.»

Une congruence qui a permis la signature d’un accord sur les services financiers fin 2023, un autre thème abordé par les deux responsables des finances jeudi. «J’ai été rassurée de constater que l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement travailliste n’a en rien entamé l’enthousiasme des Britanniques pour cet accord», indique Karin Keller-Sutter. Il est en cours d’adoption par les deux parlements et devrait entrer en vigueur en 2025 ou au plus tard début 2026, selon elle.

Un exode attendu de fortunes vers la Suisse

Ce texte, rendu possible par la sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni, permet aux prestataires de services financiers suisses d’accéder au marché britannique sans devoir obtenir une autorisation au préalable, et vice versa. «Il est assez révolutionnaire, estime Gerhard Schnyder, un chercheur suisse qui dirige l’Institut de gestion internationale à l’Université de Loughborough. Il s’agit de la première fois que deux pays choisissent de reconnaître leurs règles mutuelles comme équivalentes.»

S’appliquant aux banques et aux assureurs, le texte ne leur permet toutefois d’offrir leurs services qu’aux fortunes de plus de 2 millions de livres (2,3 millions de francs) et aux grands clients commerciaux, excluant les assurances aux particuliers. Il devrait surtout bénéficier aux gestionnaires de fortune suisses et aux assureurs britanniques.

Les deux ministres ont en outre abordé leurs budgets respectifs. «Nous sommes confrontés à des défis similaires, soit le besoin d’équilibrer les finances publiques, précise-t-elle. Nos approches diffèrent toutefois. Le Royaume-Uni mise davantage sur la levée de recettes.» La semaine dernière, Rachel Reeves a dévoilé un budget qui prévoit 40 milliards de livres d’impôts supplémentaires.

Elle va notamment abolir les avantages fiscaux fournis aux «non-dom», une catégorie de résidents qui ne payent pas d’impôts sur leurs revenus générés à l’étranger. Ils seront nombreux à partir, en particulier vers la Suisse. Une pierre d’achoppement passée sous silence par les deux femmes jeudi.

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