Dérégulation massive dans l’intelligence artificielle, influence sur des agences gouvernementales clé, soutien important aux géants de la tech… L’élection de Donald Trump aura des conséquences sur la Silicon Valley, et donc sur la planète
Donald Trump adore être flatté. Tout le monde le sait. Les dirigeants des empires de la technologie le savent mieux que quiconque, eux qui déjà ont côtoyé durant quatre ans l’animal politique. Dans leurs messages de félicitations pour son élection, ils ont rivalisé en flagornerie. Tout en y ajoutant une bonne dose de triomphalisme, ce qui en dit long sur leurs espoirs pour les quatre prochaines années.
Il y eut Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, qui s’est exclamé sur X: «Félicitations à notre 45e et désormais 47e président pour son retour politique extraordinaire et sa victoire décisive. Aucune nation n’a de plus grandes opportunités.» A peine moins extatique, Sundar Pichai, directeur général de Google, congratulait Donald Trump pour «sa victoire décisive. Nous vivons un âge d’or de l’innovation américaine et nous sommes déterminés à travailler avec son administration pour contribuer à faire profiter tout le monde de ses bienfaits.» Sam Altman, directeur d’OpenAI, se contentait d’abord d’un «Félicitations au président Trump. Je lui souhaite une grande réussite dans son travail», avant d’ajouter quelques secondes plus tard qu’«il est extrêmement important que les Etats-Unis conservent leur avance dans le développement d’une IA respectueuse des valeurs démocratiques».
Pourquoi autant d’emphase? D’abord, Donald Trump va casser les rares barrières réglementaires érigées par Joe Biden autour des géants de la tech, notamment sur l’intelligence artificielle (IA). «Nous abrogerons le dangereux décret de Joe Biden qui entrave l’innovation en matière d’IA et impose des idées de gauche radicale sur le développement de cette technologie. A la place, les républicains soutiennent le développement de l’IA ancré dans la liberté d’expression et l’épanouissement humain», écrivait-il sur sa plateforme de campagne.
Le décret signé par Joe Biden il y a bientôt un an, exigeant notamment des empires du numérique des modèles de langage sûrs et soumis à un vague contrôle, ce décret va certainement s’évanouir. OpenAI, Microsoft ou Google seront encore plus libres de lancer des services plus rapidement, entourés de moins de garde-fous. «Je crains que cela ne conduise à une plus grande déréglementation du secteur technologique, ce qui aurait un impact négatif sur les droits de l’homme dans le monde entier, estime Sandra Wachter, professeure en technologie et régulation à l’Université d’Oxford. Je m’inquiète de l’IA peu sûre, inexacte, partiale et opaque utilisée pour l’embauche, l’admission dans les écoles, les décisions de prêt et les soins de santé. Je m’inquiète de la propagation rapide de la désinformation, des discours de haine et des contenus toxiques sur internet.»
Ce n’est pas tout. Car Donald Trump a une personne dans son viseur: Lina Khan, la responsable de la Federal Trade Commission (FTC), chargée notamment des affaires de concurrence. «Elle sera virée bientôt», avait écrit sur X Elon Musk, l’homme qui murmure à l’oreille du président élu. Nommée par Joe Biden, à l’origine de plusieurs enquêtes antitrusts contre les géants de la tech, Lina Khan sera certainement remplacée par une personne beaucoup plus accommodante.
Moins de régulation, moins d’enquêtes de la part de la FTC, et moins de risques de démantèlement? Lors de la campagne, J. D. Vance, colistier de Donald Trump, avait affirmé que Google était «beaucoup trop grand, beaucoup trop puissant. Nous verrons ce qu’il en sera en 2025.» Il affirmait aussi que «beaucoup des grandes entreprises devraient être démantelées afin de promouvoir l’innovation». Actuellement, Google fait l’objet de plusieurs procès majeurs aux Etats-Unis, accusé de pratiques anticoncurrentielles sur les marchés de la publicité et de la recherche. Donald Trump ne devrait pas inciter la justice à se montrer dure.
Malgré les paroles de J. D. Vance, il est probable que Donald Trump tente de protéger ses champions nationaux, alors qu’un conflit commercial plus dur encore avec la Chine se dessine – un conflit dont pourrait d’ailleurs souffrir Apple, qui y produit iPhone et Mac. Les médias américains affirment aussi que Tim Cook, directeur d’Apple, insiste auprès de Donald Trump pour qu’il fasse pression sur l’Union européenne pour y éviter une amende pour pratiques antitrusts. Même Facebook, décrit comme «un ennemi du peuple» par Donald Trump, a peu à craindre, tout comme Amazon, sous le coup d’une procédure pour pratiques anticoncurrentielles. Mark Zuckerberg, lui-même, cofondateur de Facebook, devait «passer le reste de ses jours en prison» selon des écrits de Donald Trump. Après qu’il a ressenti que Facebook n’interférait pas dans l’élection, le président élu affirmait qu’il l’«aimait nettement mieux»…
Il y a tout de même un élément potentiellement parasite pour OpenAI, Google ou Microsoft: Elon Musk. L’homme, cofondateur d’OpenAI, mais depuis en guerre ouverte avec Sam Altman, investit massivement dans ce secteur. Elon Musk tentera-t-il d’inciter Donald Trump à s’en prendre aux concurrents de ses propres projets? Ce n’est pas impossible.
Quel est aujourd’hui le climat dans le secteur technologique aux Etats-Unis? Manu Lubrano, directeur de la start-up lausannoise Involi, spécialisée dans les drones, est aujourd’hui en partie établi à New York. «Que ce soit ici ou en Californie – deux Etats qui ont voté pour Kamala Harris – tous mes contacts étaient sous le choc de cette élection et étaient déprimés. J’ai reçu plein de messages d’absence automatiques de gens qui ont décidé de prendre congé pour digérer la nouvelle.»
Manu Lubrano poursuit: «Dans ce contexte, mes contacts ici, presque honteux, m’ont tout de même dit que, que ce soit Kamala Harris ou Donald Trump, les deux situations sont positives pour les start-up américaines. Avec Kamala, il y aurait probablement eu davantage de fonds publics débloqués, mais avec Donald Trump et Elon Musk, on peut imaginer une diminution de la réglementation. Cela pourrait avoir un impact positif sur des marchés comme les voitures et taxis autonomes (totalement dans les intérêts d’Elon Musk), jusque dans le monde des drones. Donc, malgré ce contexte un peu morose, il y a quand même des aspects positifs, et la bourse semble confirmer cette vision.»
Notons enfin que la versatilité impressionnante de Donald Trump sur la technologie sera scrutée sur deux dossiers. D’abord le réseau social TikTok, en voie de bannissement par Joe Biden, et qu’avait haï puis adoré le président élu. Et le monde des cryptos, lui aussi détesté puis adulé par un Donald Trump toujours opportuniste.