La vigneronne de la région morgienne a été couronnée en septembre dernier par ses pairs. Très investie au sein de la profession, elle évoque avec émotion une année de dur labeur et un métier pas toujours évident

Un pied dans les vignes, un pied dans les chiffres de l’entreprise, Chantal Chambaz-Duruz est une touche-à-tout. Et c’est un compliment. La caviste de formation fait partie de ces gens qui ont la capacité de s’adapter, peu importent le contexte et les situations. Et elle le fait à merveille. Qu’il s’agisse de porter la salopette, ou de sortir son plus beau sourire pour saluer les clients qui s’arrêtent au stand des Vins de Morges – dont elle préside le comité – ou à celui du domaine familial Les Tilleuls.

Cet automne, Chantal Chambaz-Duruz a été proclamée reine des vignerons et vigneronnes pour les deux années à venir par les «amis du vin et épouvantails impertinents». Cette distinction symbolique honore une personnalité de la viticulture morgienne qui fait rayonner la branche dans la région. C’est lors de la Nuit des Epouvantails, une fête folklorique qui se tient tous les deux ans à la période des vendanges, que la native de Monnaz a été couronnée comme une rock star, défilant sur un char dans les rues de Morges. «C’est le comité que je préside qui choisit le viticulteur honoré par cette distinction, précise la reine. Ils m’ont expliqué que c’était mon tour et je n’ai pas pu refuser.»

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La malédiction des «années en 4»

La présidente des Vins de Morges n’est pas vraiment du genre à se mettre en avant. Dans le milieu, ses pairs la décrivent comme «quelqu’un d’humble et de franc». Cette distinction a pourtant fait monter en elle un sentiment de fierté légitime. «C’était une journée magique, comme on n’en vit pas tous les jours. J’ai été couronnée par le préfet et recevoir ce titre auprès de mes confrères et consœurs et sous le regard de ma famille, c’était très émouvant», se remémore-t-elle avec des étoiles dans les yeux. Ce qui caractérise aussi Chantal Chambaz-Duruz, c’est la passion qu’elle voue à son métier. Lorsqu’elle parle de la Nuit des Epouvantails, elle évoque avec conviction un besoin de rapprocher la campagne et la ville.

© Christophe Chammartin / Le Temps
© Christophe Chammartin / Le Temps

Malgré les larmes de joie qui ont clos cette fête suspendue dans le temps, la maman d’Axel et de Lena a été vite rappelée à la réalité. Celle du domaine familial, situé à Monnaz (VD), que gère son frère Arnaud et qui, parfois, cache des jours compliqués. C’est notamment le cas avec ce millésime 2024, qui a donné tant de fil à retordre aux viticulteurs. Ceux-ci n’ont pas été épargnés par les problèmes météorologiques rencontrés par l’agriculture à tous les étages. «En début d’année, mes collègues plus expérimentés nous avaient prévenus que nous allions vivre une «année en 4» [qui se termine par un 4]. Certains craignaient le pire et, moi, j’avais l’impression que nous étions encore une fois très pessimistes. Eh bien, en fait, j’aurais dû me méfier de cette malédiction», avoue-t-elle avec un certain dépit.

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Les pluies diluviennes du printemps ont mis à mal les vignes, et ont déroulé le tapis rouge aux maladies, comme le mildiou. «C’était rude, il a fallu multiplier les passages afin de protéger les ceps, témoigne Chantal Chambaz-Duruz. Dans des moments comme ça, ce n’est pas facile de tenir émotionnellement car tu vois ton gagne-pain partir en poussière.» Pas épargnés par la météo pendant la croissance des grappes, les vignerons espéraient au moins pouvoir profiter du beau temps pour les vendanges. L’espoir ne fut que de courte durée. Pourtant, malgré ces nombreuses péripéties, le raisin a pu être récolté et livré en cave à temps. «Il y aura un gros travail d’œnologie à effectuer mais, vu ce que nous avons traversé, nous sommes très fiers de la qualité de ces vendanges.»

Une histoire de famille

Depuis la création de son premier millésime en 2011, Les Tilleuls ont connu une croissance impressionnante. «Nous sommes partis de zéro, se souvient Chantal Chambaz-Duruz. C’était un gros pari, car de très bons domaines existaient déjà dans la région et nous n’avions pas de clients. Personne ne savait qu’à Monnaz nous faisions du vin.» Pourtant, le projet familial décolle rapidement. Il faut dire que la fratrie Duruz n’est pas inconnue dans la région. Entre les jeunesses campagnardes, la Gym Morges et les fêtes villageoises, tout le monde connaît les visages de Chantal et d’Arnaud dans le district. Sans oublier les nombreux podiums suisses récoltés par l’aînée en aviron. «Nos années de bénévolat et notre réseau nous ont beaucoup servis, reconnaît-elle. En peu de temps, nous avons connu un sacré départ.»

© Christophe Chammartin / Le Temps
© Christophe Chammartin / Le Temps

De 10 000 bouteilles vendues en 2012, Les Tilleuls ont vu leurs commandes de vin prendre l’ascenseur pour atteindre près de 40 000 flacons en 2023. Chantal Chambaz-Duruz esquisse un sourire qui veut dire beaucoup quand elle retrace ces douze dernières années de galère, mais surtout de bonheur. Ce parcours a été couronné par d’autres moments magiques, comme son mariage avec Sébastien Chambaz, lui aussi à la tête d’un domaine agro-viticole, et les naissances de ses deux enfants. «Entre nos activités familiales, professionnelles et associatives, nous vivons une vie de marathoniens, se réjouit cette maman comblée. Par contre, même s’ils baignent dans le milieu depuis leur premier jour, on ne les forcera pas à suivre nos traces. Au contraire, on les encouragera même à voir ailleurs pour qu’ils puissent faire leurs propres choix.»

En graphique

La lente érosion du marché du vin suisse

A 37 ans, Chantal Chambaz-Duruz est une reine qui se bat sur tous les fronts pour le bien de la profession. Entrée en 2011 au comité des Vins de Morges, élue présidente en 2020, elle a déjà dû résister à une année en 4 et à une pandémie mondiale. Quid de la suite? «J’ai encore de nombreux combats à mener. Les Suisses boivent moins de vin, alors nous devons trouver des solutions pour encourager une consommation locale.» L’association, dont Chantal Chambaz-Duruz est 100% bénévole, mise par exemple sur une promotion de ses crus outre-Sarine. Pour se faire connaître davantage, les Vins de Morges soutiennent cette année le jeune skieur fribourgeois Alexis Monney, qui compte bien s’imposer durablement en Coupe du monde.


Profil

1987 Naît le 8 mars à Morges (VD).

2007 Se consacre au projet de domaine viticole familial.

2015 Mariage avec son mari Sébastien et année d’un très bon millésime.

2015 et 2016 Naissance de ses enfants Lena, puis Axel.

2020 Elue à la présidence des Vins de Morges.

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