OPINION. La Suisse se prête bien au modèle de la ville du quart d'heure, qui répond aux défis climatiques et assure une qualité de vie durable, à l'opposé d'élargissements d'autoroutes non rationnels et très transitoires, écrit Magali Zuercher, architecte-urbaniste, présidente d’Urbaplan
En 2014, la population suisse, consciente de l’exiguïté de son territoire, a approuvé la révision de la loi sur l’aménagement du territoire limitant l’extension de la zone à bâtir et garantissant une utilisation rationnelle du sol.
En 2024, nous nous apprêtons à voter de potentiels investissements autoroutiers pour 5,3 milliards de francs. En tant qu’urbaniste, il me semble légitime de questionner ces investissements. Même si le réseau national montre aujourd’hui, ponctuellement et temporairement, des signes de saturation qu’il s’agirait de résorber à travers des projets d’élargissement des voies, nous devrions à nouveau considérer dans nos réflexions, et dans nos décisions, nos limites, celles de notre territoire mais aussi les neuf limites planétaires identifiées depuis 2009 par un large cercle de scientifiques, dont sept sont largement dépassées. Les conséquences de ces dépassements s’observent régulièrement par notamment la grave diminution de la biodiversité, le dérèglement climatique avec les pluies diluviennes, les laves torrentielles, les tornades de cet été.
Sachant que les transports (sans le trafic aérien international) contribuent à plus de 40% des émissions de CO2 de la Suisse, des efforts importants doivent être fournis pour rendre la mobilité multimodale mais surtout durable.
Dans ce contexte extrêmement sensible et complexe, alors que la Confédération s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, la part de mobilité individuelle devra à la fois faire le virage électrique, mais également diminuer très significativement, tout en proposant des alternatives sérieuses pour garantir une qualité de vie, certes différente mais désirable. Elargir les autoroutes n’en fait plus partie. Ces infrastructures empiéteront sur les terres agricoles de qualité, contrevenant à notre principe d’une utilisation rationnelle du territoire, nécessiteront d’importantes ressources à leur construction, contribueront à accroître la pollution, en particulier en matière de microplastiques émanant des pneus, et mettront sous pression les centres urbains face à l’importance du trafic qui s’y déverse. Finalement, ces élargissements n’amélioreront que très temporairement la fluidité sur les tronçons concernés car les autoroutes seront très vite à nouveau congestionnées.
La Suisse se caractérise par un réseau de villes moyennes – en Suisse romande, entre autres, Nyon, Martigny, Delémont, etc. – très bien connectées entre elles et aux principales agglomérations, offrant des opportunités d’emplois, des services et commerces de qualité ainsi que des équipements culturels, scolaires, sportifs, reconnues pour leur douceur de vivre et leur convivialité. Ces villes sont très propices à accueillir de nouveaux développements et à contribuer à la mise en place d’une mobilité multimodale et durable. Elles peuvent accueillir près des gares des hubs de mobilité, dans lesquels le transfert vers des modes de déplacement efficaces à plus longue distance sera facilité.
C’est le modèle de «ville du quart d’heure», concept remis au goût du jour par l’urbaniste Carlos Moreno. Dans cette ville, tous les services dont les habitants et les habitantes ont besoin au quotidien se localisent dans un rayon de quinze minutes à pied ou à vélo, permettant de réduire les transports individuels motorisés et par là même de limiter la pollution de l’air, le bruit et les missions de gaz à effet de serre. Au sein de ces villes, il est possible d’augmenter la qualité de vie et d’offrir des réponses aux défis du dérèglement climatique par un réaménagement en profondeur des espaces publics, précédemment dédiés à l’automobile, pouvant être utilisés pour les autres modes mais aussi pour étendre les surfaces perméables et planter des arbres. Ces mesures permettent de rafraîchir les quartiers en été, de préserver, voire d’augmenter, même en ville, la biodiversité.
Pour tous les professionnels du territoire, il ne s’agit plus de l’aménager, mais bien de le ménager, c’est-à-dire en prendre soin, en renforçant le bien-vivre ensemble. Alors que notre population vieillit, travaillons à la conception et au développement de quartiers durables dans lesquels nous aurons plaisir à résider, et à valoriser le tissu caractéristique des villes moyennes mises en réseau.
Il serait regrettable de ne pas privilégier cette vision durable du territoire suisse.