Du jazz qui flirte du côté de Purcell, des micromodulations, de l’afro jazz sénégalais… «Le Temps» a vendangé pour vous une nouvelle cuvée de notes bleues

La Chica & El Duende Orchestra, «El Camino»

C’était notre coup de cœur du festival Cully Jazz 2024. La Chica & El Duende Orchestra sortent enfin leur disque, fruit de leur rencontre artistique. Entre eux deux règne une sorte d’amour sorcier – un amor brujo qui aurait plu à Manuel de Falla! Chanteuse chamane, La Chica ensorcelle de son grain de voix solaire, tandis qu’El Duende (pianiste et compositeur) arrange avec finesse des univers incandescents. Le résultat? Une alchimie évidente, un voyage envoûtant où les pizz des cordes et le souffle de la clarinette basse dessinent des espaces musicaux inclassables. Poétique et séduisant, ce nouvel album insolite est une pépite à ne pas rater!

El Camino (Altafonte USA/Mexico), sortie numérique.


Avishai Cohen, «Courage»

Après une incursion dans les rythmes cubains avec Iroko, le contrebassiste israélien Avishai Cohen revient à sa configuration de prédilection, le trio. «C’est le format qui permet à ma musique de s’épanouir et d’exister depuis toujours», nous confiait-il dans une interview. Toujours en compagnie de la jeune batteuse Roni Kaspi, qu’il avait révélée à la planète jazz dans son disque Shifting Sands sorti en 2022, le trio accueille ici un nouveau pianiste, Guy Moskovich. Les mélodies du contrebassiste brillent ici encore par ce mélange de groove et de lyrisme.

Brightlight (Naïve), à paraître le 25 octobre.

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Charlotte Planchou, «How Happy Be the Lover»

Après Petite paru en 2021, la chanteuse et guitariste Charlotte Planchou revient avec le pianiste Mark Priore pour un duo intime et vibrant. Leur terrain de jeu? Celui de la chanson reprise et revisitée, de Purcell à Léo Ferré. Ainsi Charlotte Planchou continue de tordre le cou aux clichés du jazz vocal montrant au besoin que c’est bien dans la prise de risque et les pas de côtés que se mesure le talent. Leur version magistrale de King Arthur apporte à cet aria de la Renaissance anglaise une incroyable modernité. Charlotte Planchou possède dans la voix cette mélancolie et ce charisme qui capturent notre attention. Dans l’improvisation de Mark Priore, le groove du «Ground» n’est jamais loin. La finesse du musicien s’apprécie dans ce floutage de l’harmonie comme un fil tendu entre les résolutions baroques et les enrichissements du jazz. Le résultat est bouleversant.

Le Carillon (Art District Music), octobre.


Mangane, «Emmène-moi»

Dans une industrie qui se repaît de jeunes premiers, Mangane a de quoi dénoter. A presque 60 ans, le chanteur sénégalais publie son premier disque à l’heure où d’autres envisagent la retraite. «Zoom Zemmatt» c’est le nom qu’on lui donne, à cet enfant curieux qui va à mille à l’heure. Evoquant son enfance dans le quartier de Thiès, grande cité à une heure de route de Dakar, ce disque très afro jazz s’émancipe des classiques du style pour emprunter les chemins buissonniers. Dix titres qui rassemblent les sédiments d’une vie passée en musique.

Zoom Zemmatt (Laborie Jazz), à paraître le 18 octobre.

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Nubya Garcia, «Odyssey»

En une décennie, la saxophoniste Nubya Garcia, s’est imposée comme l’une des musiciennes les plus intéressantes depuis la déferlante de la scène jazz londonienne. Ce deuxième album solo confirme ses talents de compositrice avec des arrangements hauts en couleurs, ainsi que les performances remarquables de certains associés – le claviériste Joe Armon-Jones (Ezra Collective) et le batteur Sam Jones, pour ne citer qu’eux – et la contribution d’une poignée de chanteuses. L’orientation orchestrale de cet album s’inscrit dans la lignée du récent et excellent travail du SEED Ensemble de la saxophoniste Cassie Kinoshi (Gratitude, 2024). Mais cette Odyssey est en fin de compte celle de Nubya Garcia, qui après être allée puiser dans ses sources, ravive à présent son amour pour les cordes.

Odyssey (Concord Records)


Daniel Garcia Trio, «La Tarara»

Natif de Salamanque et diplômé du renommé Berklee College of Music de Boston, Daniel Garcia est devenu en quelques années l’un des pianistes phares de la scène européenne. C’est son mentor panaméen, le pianiste Danilo Pérez, qui l’incitera à trouver sa propre voie en plongeant dans les racines musicales de sa terre natale. «Le flamenco et le jazz sont frères», déclarait ainsi le pianiste Daniel Garcia au cours d’une interview. «Ils ont en commun l’expression de soi, un engagement total au moment de faire de la musique et la profonde expérience du moment présent». Conviant la chanteuse Veronica Ferreiro pour La Tarara, cette chanson d’origine séfarade que Federico Garcia Lorca avait compilée en 1931, les musiciens en livrent une version d’une sensualité renversante.

Wonderland (Act Music)


Oded Tzur, «Child You»

Le saxophoniste israélien Oded Tzur, installé de l’autre côté de l’Atlantique, se distingue depuis plusieurs années par ses mélodies méditatives qui puisent souvent leur inspiration dans les râgas indiens. Avec ses micromodulations au sax, Oded Tzur a développé une technique de jeu singulière, qui le rend reconnaissable instantanément. A la tête de son quartet composé du pianiste Nitai Hershkovits, du contrebassiste Petros Klampanis et du batteur Cyrano Almeida, Oded Tzur prouve encore une fois l’originalité de son chemin musical.

My Prophet, Oded Tzur, ECM Records.