ÉDITORIAL. Avant même d’essayer un produit cosmétique, nous consommons les mots qui lui sont associés. Ces derniers reflètent toujours les aspirations mouvantes de la société

Rouge Résilient. Crème Hydra Zen. Sérum Magic Crystal Elixir. Symbiosérum. Teint Miracle. Baume des Dieux. Vernis Goutte Cosmique ou Bare My Soul («mettre mon âme à nu»). Huile à lèvres La Vie est une Plage. Voici quelques-uns des produits que l’on trouve en ce moment dans les rayons cosmétiques des grands magasins. Certains noms sont tellement perchés qu’on se surprend à envisager l’achat. Voire à passer à la caisse. Cela rappelle deux choses. La première, c’est qu’avant même d’essayer un produit de beauté et de se frotter à sa matérialité, on consomme non seulement son apparence (voir les natures mortes du photographe Simone Cavadini), mais aussi les mots qui lui sont associés, les émotions que leur nom (r)éveille en nous.

La seconde, c’est que ces mots tendent toujours, à celles et ceux qui veulent bien le regarder, un miroir de notre époque. Ses désirs et ses préoccupations, ses angoisses aussi. C’est tout sauf un hasard: dans les services marketing des marques, des sémiologues et autres spécialistes de la rhétorique sont payés très cher pour mettre au point cette novlangue et séduire les clients. A l’heure actuelle, que raconte le panorama lexical de la beauté? Eh bien, que l’obsession pour la jeunesse a été rattrapée par des idéaux d’un autre ordre. Que les sérums «à l’acide hyaluronique 2% + B5» et les crèmes à «l’ADN métamorphique» peuvent bien combler les rides (quoique cela reste à prouver), leurs promesses ne répondent pas à la quête de bonheur et de spiritualité qui anime une partie croissante de consommateurs. Dès lors, les mots de la cosmétique flirtent ouvertement avec le développement personnel, l’ésotérique et le divin. Bien sûr, aucune crème n’apportera jamais le succès, la confiance en soi ou la sérénité. Mais dans l’intimité des salles de bains, la sémantique des tubes l’emporte parfois.