ÉDITORIAL. Les milliers d’explosions de bipeurs et de talkies-walkies viennent encore frapper une population libanaise exsangue. Elle n’attend plus que la guerre généralisée

Combien de plaies pourront encore supporter les habitants du Liban? Toujours très profondément traumatisé par les guerres – dont il a hérité les institutions, le clientélisme et une bonne partie du chaos actuel –, le pays a vu, en 2020, son port exploser, et une bonne partie de la capitale se réduire en miettes avec lui. Dans un Liban exsangue, ce sont aujourd’hui les bipeurs et les talkies-walkies qui explosent, et qui arrachent les mains ou les yeux au carrefour d’en face ou au supermarché du coin.

Avec son opération soigneusement planifiée, Israël s’est offert un succès spectaculaire, doublé d’une prouesse technique. Il a fini aussi de réduire la complexité sans fin de la région à une affaire «d’assassinats ciblés» où se mêlent usage de la force brute et solutions technologiques. Les cibles, cette fois, ont été désignées en masse dans les rangs du Hezbollah, et bien au-delà, rapprochant aussi au grand galop des perspectives technologiques de science-fiction où, demain, des smartphones, des réveille-matin connectés ou des voitures autonomes pourront se retourner contre leurs utilisateurs, devenus autant de «cibles».

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### Image battue en brèche Dans le contexte libanais, ces milliers d’explosions simultanées font davantage que de créer une panique, un désespoir et une affliction devenus généraux. Le Hezbollah a pu compter jusqu’ici sur deux attributs à l’heure de devenir, sinon populaire, au moins supportable par la population, bien au-delà des cercles chiites que la milice-parti représente. Constitué en Etat dans l’Etat, dont la puissance est bien supérieure à celle de l’armée nationale elle-même, le Hezbollah bénéficie au Liban d’une image de «résistant» face à Israël (dont il a obtenu le retrait du Sud-Liban en 2000) et d’une totale intégrité. Or ces qualités sont sérieusement battues en brèche par l’attaque israélienne: démontrant sa grande vulnérabilité, la milice-parti chiite est fragilisée de surcroît par des soupçons de corruptions internes qui auraient pu favoriser l’infiltration des services secrets d’Israël.
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Cette opération israélienne sans précédent sera-t-elle une sorte de «cheval de Troie» précédant une guerre plus vaste, comme le redoutent les Libanais? Le Hezbollah et son parrain iranien derrière lui décideront-ils de leur côté de rétablir leur crédibilité perdue à coups de missiles, enclenchant une spirale dévastatrice? Au Liban, une nouvelle plaie ne chasse pas les précédentes mais vient au contraire raviver les douleurs. Comme partout ailleurs.